« Pas de secret médical partagé entre l’assurance et le médecin traitant », le rappel à l’ordre d’un généraliste à un courtier
2020 n’est apparemment pas l’année des bonnes résolutions pour certaines compagnies d’assurances, qui continuent de demander aux médecins généralistes des informations médicales sur leurs patients afin de faire valoir leurs droits. Dans un tweet publié cette semaine, le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau (Pas-de-Calais), dénonce les demandes insistantes de la société SMA auprès d’un de ses patients victimes d’un accident du travail. La compagnie aurait demandé à son assuré de faire remplir, signer et tamponner un formulaire prérempli à son médecin, lui demandant de préciser l’ensemble de son "passé médical".
Sur Twitter, le médecin a interpellé l’Ordre des médecins. « Sous couvert d’un accident de travail, il faut révéler tous les antécédents, signer, tamponner ? Vous dites vous mêmes que c’est illégal, et vous laissez faire ça ? », s’est indigné le Dr Rochoy.
Ce n’est pas la première fois qu’une assurance joue avec les limites légales du secret médical. Il y a tout juste un an, un généraliste du Finistère s’indignait que la société Socram lui demande de fournir des informations confidentielles au sujet d’un patient décédé, sans lesquelles la société refuserait de débloquer les fonds destinés aux ayants droit. En mars dernier, un autre omnipraticien s’en prenait à une société de courtage qui exigeait d’une patiente une attestation médicale de médecin traitant suite à un arrêt, faute de quoi l’assurance de sa banque ne l’indemniserait pas.
Rappel de la loi
Las de voir se multiplier ce type de demandes au cabinet, le Dr Rochoy a décidé d’écrire à l’organisme concerné à chaque fois qu’un patient se déplace à son cabinet pour lui faire remplir un formulaire d’assurance. Ces courriers (un modèle type est disponible sur son blog) sont également adressés en copie à l’Ordre des médecins. Le généraliste y rappelle la loi du 4 mars 2002 et l’article L-1110-4 du Code de Santé Publique sur le secret médical dont les informations sont reprises dans le rapport « Questionnaires de santé, certificats et assurances » du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), mis à jour en décembre 2019.
Ce document précise en effet qu’« il appartient à̀ l’assuré de communiquer les éléments médicaux en rapport avec l’état de santé à l’origine de son arrêt de travail ou de son invalidité » et que « les médecins des compagnies d’assurances ne sont autorisés par aucun texte à demander des renseignements au médecin traitant, pas plus qu’ils ne sont autorisés à̀ demander une copie de la première page d’un arrêt de travail où figurent les éléments d’ordre médical motivant cet arrêt ».
En bref, si le secret médical n’est pas opposable au patient, le médecin se doit de ne pas transmettre directement de telles informations à la compagnie d’assurances. Le Conseil national de l’Ordre des médecins précise bien que « le médecin ne doit pas répondre » à ce type de demandes et dans le cas d’un décès, qu’« on admet, tout au plus, qu’il dise si la mort est naturelle, due à une maladie ou à un accident ». Le code de la Santé publique stipule par ailleurs que « le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende ».
Lettre au procureur de la République
Malgré les réponses du Cnom à ses courriers, qui confirment tous qu’« il n’appartient en aucun cas au médecin traitant du salarié de remplir, signer ou contresigner le questionnaire de santé ou le certificat médical détaillé », le Dr Rochoy déplore aujourd’hui que le Conseil national « n’engage pas d’action contre des gens qui bafouent le secret médical ».
Le médecin a donc décidé d’adresser un courrier (dont Le Généraliste a eu copie) directement au procureur de la République pour demande d’avis : « Il n’est pas possible que cela se poursuive impunément. Soit nous vivons dans un pays où les assurances ont tous les droits, et peuvent accéder à l’intégralité des données médicales afin de choisir si oui ou non, elles acceptent d’assurer tel ou tel risque (...), soit nous vivons dans un pays où les assurés sont jugés de confiance par défaut : dans ce cas, ils n’ont pas à apporter a posteriori la preuve qu’ils n’ont pas menti ou omis des éléments lors de la signature du contrat », écrit le généraliste. Il insiste également sur le caractère chronophage de ces consultations destinées à remplir des certificats d’assurance. « Dans les deux cas, les médecins généralistes - déjà occupés à faire du soin -, n’ont pas vocation à̀ être des contrôleurs pour assureurs et mutuelles », martèle-t-il.
L’Ordre national des médecins, qui rencontre régulièrement la Fédération des assurances, n’a pour l’instant pas communiqué de mesures concrètes pour lutter contre ces abus. Contacté par Le Généraliste, le Cnom invite toutefois les praticiens qui auraient des interrogations sur la légalité des informations demandées par les assurances via leurs patients à contacter directement leur conseil départemental pour avis. La commission déontologie de la Fédération des assurances, elle aussi sollicitée, n’a à ce jour pas donné suite.
Article de Camille Roux
Source : legeneraliste.fr
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