Le ministère de la Santé a annoncé, lundi 10, qu’il autoriserait, d’ici à quatre mois, les médecins de ville à injecter du midazolam à leurs patients en fin de vie à domicile, pour des sédations profondes et continues jusqu’au décès, dans le cadre d’une décision collégiale. Une mesure qui nécessite un encadrement éthique effectif.
Propos recueillis par Emmanuelle Lucas
Source : la-croix.com
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Deux intervenants ont répondu à notre question, ils insistent sur l’importance de l’encadrement et sur la formation des médecins généralistes.
« Soulager la souffrance à domicile est un acte éthique »
(Par Emmanuel Terrier, professeur de droit privé et chargé de mission à l’Espace de réflexion éthique Occitanie.)
La décision de permettre au médecin traitant de prescrire du midazolam ne contrevient pas à l’éthique à la française. En effet, cette décision ne constitue en rien une forme rampante d’euthanasie. Ce médicament est un antidouleur relaxant qui, dans un autre contexte que celui de la fin de vie, peut tout à fait être prescrit comme un simple somnifère. Il ne s’agit pas d’un produit destiné à tuer. Certes, sur un corps usé, il peut avoir pour conséquence d’abréger la vie, mais il ne s’agit pas d’une substance létale en elle-même. Je rappelle que l’euthanasie est interdite, précisément, parce que le fait de rechercher la mort de quelqu’un est puni sur un plan pénal.
L’usage du midazolam s’inscrit dans une volonté d’alléger la souffrance du patient. Depuis la loi Kouchner de 2002, celle-ci est devenue hors la loi : l’État n’a plus le droit de laisser les gens avoir mal. La démarche d’ouvrir la prescription de ce médicament aux médecins généralistes ne heurte donc pas nos principes éthiques. Elle va même dans le bon sens puisqu’elle permettra peut-être à des patients plus nombreux de pouvoir mourir chez eux, comme ils le demandent souvent. Aujourd’hui, ce droit ne leur est accordé que très rarement : 75 % des décès ont lieu à l’hôpital, ce qui est très élevé.
Mes réserves concernent davantage le savoir-faire des médecins généralistes. Sauront-ils apprécier l’état de leur patient ?
Devront-ils passer, au contraire, beaucoup de temps à demander l’avis des services de soins palliatifs ?
Dans ce cas, quelle sera l’efficacité réelle de la mesure ?
Devront-ils passer, au contraire, beaucoup de temps à demander l’avis des services de soins palliatifs ?
Dans ce cas, quelle sera l’efficacité réelle de la mesure ?
On sait que le nombre d’équipes mobiles de soins palliatifs est déjà très insuffisant. Seront-elles renforcées ? Il ne faudrait pas qu’on soit en train de faire peser sur des gens dont ce n’est pas le métier des missions qui incombent à l’hôpital et dont on jugerait qu’elles coûtent trop cher à ce dernier.
Surtout, je rappelle que la plupart des médecins généralistes ne sont pas du tout formés à l’accompagnement de la fin de vie. L’éthique a complètement déserté les facultés de médecine. Les praticiens voient plus souvent la mort comme un échec que comme un moment à accompagner. Je souligne d’ailleurs que ce n’est pas le cas de toutes les professions médicales : les infirmières, par exemple, sont beaucoup mieux formées que les médecins sur ce plan.
C’est pourquoi, il me semble que la mise à disposition de ce nouveau produit doit s’accompagner d’une transmission des savoirs. Il faut profondément revoir la formation des médecins sur l’accompagnement de la mort et de la souffrance. La loi de bioéthique en discussion au Parlement y remédie d’ailleurs en partie, mais de façon encore insuffisante.
« Une bonne nouvelle si la collégialité est garantie »
( Par Jacques Battistoni, Président de MG-France, premier syndicat de médecins généralistes.)
Cette mesure est une bonne nouvelle pour les patients, qui pourront être plus souvent accompagnés à domicile, et aussi pour les médecins généralistes dont le rôle dans les soins palliatifs est reconnu. En effet, ceux-ci accompagnent déjà leurs patients, mais pas toujours de façon adaptée. Ils ne peuvent prescrire que des opiacées souvent insuffisantes à apaiser la douleur. Ils seront désormais mieux armés.
Le fait de pouvoir prescrire le midazolam ne signifie cependant pas que le médecin généraliste doive être livré à son seul bon vouloir. La fin de vie à domicile est encadrée par des formes de collégialité qui existent à tous les niveaux et ne peut se concevoir autrement.
La loi Leonetti-Clays est très claire sur ce point et cela doit être rappelé. Ainsi, la décision d’avoir recours à une sédation profonde ne peut être prise qu’avec l’accord du patient et de ses proches. Ensuite, elle est orchestrée par l’équipe « de soins primaires », que constituent le médecin traitant, le pharmacien et l’infirmière libérale. Cette nécessité d’avis croisés est essentielle. Même chose pour la surveillance du patient : tous les intervenants - sages-femmes, infirmiers - échangent avec le médecin qui décide souvent, devant la lourdeur de la prise en charge, d’une hospitalisation à domicile.
À cet égard, il me semble très positif qu’Agnès Buzyn ait accompagné sa décision d’une demande d’audit de l’offre d’hospitalisation à domicile et des services mobiles de soins palliatifs, qui viennent en appui pour aider dans le traitement de la douleur. Le midazolam nécessite en effet une surveillance particulière et ces services seront forcément très sollicités.
Il ne faudrait pas, d’ailleurs, que le fait d’ouvrir la prescription de midazolam aux médecins généralistes entraîne une fermeture de lits dans les services hospitaliers de soins palliatifs car il est essentiel que le patient et sa famille puissent changer d’avis et demander, à tout moment, une hospitalisation. Ces situations sont très dures à vivre d’un point de vue affectif et psychologique. Il ne faudrait pas que ces gens arrivent dans des services d’urgence et y restent faute d’une place plus adaptée. C’est pourquoi nous demandons aussi un audit du nombre de lits disponibles.
Enfin, j’ajouterais que ces patients et leurs proches ont besoin eux aussi de beaucoup d’attention et de temps. Il faut pouvoir passer les voir régulièrement. C’est pourquoi, nous prenons comme un bon signe que la nouvelle convention de l’Assurance maladie reconnaisse une quotation spécifique pour ces visites particulières. Certes, cela reste très insuffisant puisque seules trois visites de soins palliatifs par an sont prévues. Mais c’est un premier pas. Dans l’idéal, il faudrait en prévoir autant que le nécessite l’accompagnement de chaque patient.
Source : la-croix.com
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