Témoignage d’une médecin du travail dans un hôpital parisien qui s’est résolue à démissionner tant sa tâche était devenue impossible.
Source : liberation.fr
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On n’a jamais autant parlé du mal-être au travail. Pourtant jamais la médecine du travail n’a été aussi mal-en-point, dépourvue de moyens, et régie par une réglementation de plus en plus lâche.
À l’hôpital ? C’est le comble. On dirait qu’elle est en maladie longue durée alors que le personnel soignant ne sait plus quoi faire pour retrouver le moral.
Un exemple de cette situation ubuesque autour de la médecine du travail ?
À Paris, dans les hôpitaux de l’AP-HP (Assistance publique-hopitaux de Paris), c’est un délitement progressif. À l’image du témoignage du Dr A. Elle est partie - une démission, comme tant d’autres. Sans le crier haut et fort, elle témoigne. « J’ai l’impression d’avoir abandonné mon poste, avec un énorme sentiment de culpabilité. Mais si je restais, je craquais. »
La Dr A est donc médecin du travail. Pendant ces deux dernières années, elle a travaillé dans un hôpital parisien. Une tâche délicate, en ces temps de crise hospitalière. Les fonctions de médecin du travail, effet, ne sont pas anecdotiques : il s’agit de rencontrer tous les nouveaux salariés lors de leur embauche, puis de les suivre, de surveiller les risques en tous genres auxquels ils sont exposés, etc. « Au départ, nous étions deux dans mon hôpital, raconte cette médecin. Deux pour 3.500 salariés. Puis ma collègue est partie, j’ai été seule alors que dans les textes du code de travail il faut un médecin du travail pour 1.500 salariés. C’est devenu impossible, épuisant. La direction de l’hôpital m’a dit que ma collègue allait être remplacée. C’était inexact. Il y a eu une candidate, elle n’a même pas été reçue. »
Seule, la Dr A, est très vite débordée de toute part. Elle n’a même plus le temps de recevoir les nouveaux salariés. « Les deux tiers de mes consultations, c’était du personnel qui me demandait un rendez-vous. Deux à trois personnes par jour, bien souvent en larmes. Elles évoquaient toujours le même thème, elles disaient qu’elles n’y arrivaient plus, qu’elles pensaient quitter leur emploi à l’hôpital, qu’elles craignaient un drame. Cela m’a dévoré. En plus à l’hôpital, on se doit de surveiller le risque chimique, mais aussi la question de la radioactivité, les risques infectieux, le risque biologique. Je n’avais plus le temps de faire mon travail. » Puis elle ajoute : « Les médecins ? J’en recevais quelques-uns. Ils venaient, presque en cachette. Dans une réunion du CHSCT, j’ai parlé de leur situation et de leurs difficultés. La directrice m’a dit fermement que cela ne me regardait pas. »
Bilan sinistre
Point final. La Dr A a donc démissionné. Mais avec beaucoup de remords. Avec quelques collègues, ils ont monté, peu après, une enquête interne pour pointer combien la situation est sinistrée. Alors que le discours officiel insiste sur la nécessité d’écouter les professionnels de santé et de prévenir les risques psychosociaux, le manque de moyens pour cette écoute est criant. Et surtout, il s’accentue.
À l’hôpital Tenon (Paris XXème), il y a sur le papier deux postes de médecin de travail ; aucun n’est occupé. À l’hôpital Saint-Louis (Xème), deux postes prévus, aucun n’est occupé également.
À Saint-Antoine (XIIème), même situation, ainsi qu’à l’hôpital Robert Debré (XIXème), où il n’y a pas de médecin de travail. À l’hôpital Pompidou (XVème), c’est un poste sur deux qui est occupé. À l’hôpital Trousseau (XIIème), un léger mieux avec un poste occupé sur 1,5 prévu. À l’hôpital Lariboisière (Xème), un poste sur deux. Aucun médecin du travail à l’hôpital Avicenne (Bobigny), ni à Louis-Mourier (Colombes). À l’hôpital Necker (XVe), un seul poste est occupé sur trois prévus, à l’hôpital Bichat (XVIIIe) un sur deux. Et ainsi de suite…
Bilan sinistre. Après le suicide en décembre 2015 d’un cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (XVème) qui s’était défenestré, la direction de l’AP-HP avait lancé une série de commissions et de recommandations pour mieux prévenir les « risques psychosociaux ». À coup sûr, une bonne idée. « Encore faudrait-il qu’il y ait des médecins du travail pour s’en occuper », lâche la Dr A.
Article d'Éric FavereauSource : liberation.fr
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