"La Vie Hospitalière"

samedi 1 février 2020

Réforme des retraites : analyse du contenu (1)


La lecture du projet de loi concernant le régime universel de retraite réserve nombre de surprises, et non des moindres. Nous verrons dans un premier temps ce qui saute aux yeux pour voir ensuite quelques détails techniques pour lesquels je donnerai des précisions.
Ce qui surprend d’abord, c’est le très grand amateurisme de ses auteurs, couplé à un mépris à l’égard des élus et de nos institutions démocratiques. Certains points que je voulais évoquer n’ont pas échappé au Conseil d’État.

UNE RÉFORME PAR ORDONNANCES, SANS LE DIRE
À presque chaque page on apprend que les dispositions pratiques ne sont pas dévoilées, ne seront pas discutées au parlement, mais seront précisées par ordonnances dans des délais variables (de 3 à 18 mois). 
La réforme ne passera pas en force par ordonnances, mais les dispositions les plus importantes relèveront d’ordonnances ! J’avais relevé ce renvoi à des ordonnances à 25 reprises, le Conseil d’Etat vient de faire la même critique, en en dénombrant 29.  De qui se moque-t-on ?  Voie démocratique ou ordonnances ? En pratique le texte qui est présenté n’est qu’un emballage, quant au contenu, il sera donné plus tard ! On veut faire voter par notre représentation nationale une réforme dont on donnera le contenu qu’après !

UNE RÉFORME QUI MÉPRISE LES INSTITUTIONS, LES ÉLUS
On avait déjà vu le mépris de nos institutions dans le déroulement des « réunions monologues de concertationprésentation ». Je vous en ai déjà compté l’histoire : 6 réunions programmées avec les caisses de professions libérales. Ces caisses connaissant trop bien le sujet et faisant des remarques désagréables, la concertation s’est arrêté après la seconde réunion, remplacée par des réunions avec les syndicats (une dizaine en un an), incompétents. On est passé de discussions avec les représentants de toute la profession, élus, à des discussions avec des non élus, ne représentant que 10% de la profession, de plus rémunéré par les autorités, donc très complaisants.
Même comportement avec les élus de la nation. On se moque d’eux en ne leur présentant que l’emballage, mais il y a pire que cela. Lors des premières réunions, nous avons évoqué la possibilité d’aller voir nos députés pour leur expliquer ce qui allait se passer et que nous essaierons de les convaincre. Réponse du numéro 2 du HCRR, et passé depuis au cabinet du ministre : « les députés feront ce qu’on leur dira de faire ». Ça on le savait déjà, mais qu’un haut fonctionnaire le dise publiquement, on attend un sursaut d’orgueil de la part de nos élus, pour montrer qu’être réinvesti n’est pas leur préoccupation première, et qu’ils sont aussi à l’écoute de ceux qui les ont élus. 

UNE RÉFORME INACHEVÉE, FAITE PAR DES INCOMPÉTENTS
Ces nombreux renvois témoignent d’une grande impréparation. Cerise sur le gâteau, le Conseil d’État nous apprend qu’en moins de 3 semaines, le projet a été modifié 6 fois ! (Expliquant sans doute qu’il dénombre plus de renvois à des ordonnances). On présente une réforme qui n’est pas finie ! Précipitation, amateurisme, incompétence. Grave pour un pays comme le nôtre, inquiétant de la part d’individus qui nous font bien savoir qu’ils appartiennent à une classe supérieure, qui sait tout sur tout et n’a besoin d’aucune expérience, d’aucun conseil. Belle démonstration de leurs compétences, il faut faire fermer d’urgence leur école ! Une réforme de cette importance, la plus importante depuis 75 ans mérite mieux.

PAS DE CHIFFRES, OU FAUX
Autre point qui frappe pour une réforme des retraites et également relevé par le Conseil d’État, c’est l’absence de projections. J’ai déjà évoqué ce problème ici à plusieurs reprises depuis des mois. 
On ne sait pas où on va ! Pas de chiffres, pas d’étude d’impact sérieuse. Certes on vous donne des simulations : vous avez tel âge, tel revenu, à tel âge vous toucherez tant. C’est une totale manipulation de l’opinion, car il est très probable que vous ne toucherez jamais cette retraite promise. En effet il manque des projections, qui nous diraient si le régime sera équilibré dans 5 ans, dans 10 ans, dans 20 ans. Cela nous dirait quelle valeur du point on peut espérer à telle date.
On vous promet un rendement de 5,5%, on fait ces calculs avec ce rendement sans se préoccuper de ce qu’il sera demain. Déjà pour ce rendement « décrété » (ce qui ne peut être) de 5,5%, j’ai été un des premiers à dévoiler ici une première entourloupe : ce rendement n’est pas de 5,5%, mais de 4,95%. Ensuite, en ce qui concerne ces promesses gouvernementales pour la retraite, les médecins connaissent. En effet, pour l’ASV, géré par l’État et les syndicats, non par la caisse, on a fait en 1972 de belles promesses. Lorsque la première génération a pris sa retraite, le rendement était divisé par 5, et maintenant, 50 ans plus tard, il a été divisé par 15. J’avais annoncé cette chute, nié par les syndicats et les autorités, elle et maintenant là, incontournable. Alors pour le régime universel, on aimerait bien avoir quelques précisions.
On nous promet une étude d’impact, qui au passage aurait dû précéder les exemples et guider la réforme. Il paraît quelle sera trop volumineuse pour que les députés puissent la lire. Pour notre part, chez les médecins, en désaccord avec les premières simulations, nous avons voté le financement d’une expertise indépendante, pour montrer que dans leurs comparatifs, nos projections sont minorées, la leur majorée, pour minimiser l’impact. Si nos chiffres sont faux, les autres le sont aussi.

UNE GOUVERNANCE AUX ORDRES
Dernier point que je voulais évoquer pour aujourd’hui : comment, par qui sera piloté le régime universel ?  On retrouve ici la patte non d’une république démocratique, mais d’une dictature administrative, qui met en place ses hommes de main. Les Articles 49 à 56 qui organisent cette gouvernance ne comportent pas moins de 4 renvois à des ordonnances et à de nombreux décrets, arrêtés ou « fixé par voie réglementaire » comme le nombre d’administrateurs.
Pour cela on crée une Caisse Nationale du Régime Universel, la CNRU (Art 49). Il n’y aura pas d’administrateurs élus comme par le passé (ils ont déjà fait disparaître ces dispositions dans les caisses maladie). 
La gestion sera paritaire : le Conseil d’Administration sera composé pour moitié par des représentants des salariés, pour moitié du patronat. Ce seront donc des syndicalistes désignés, issus de syndicats « agréés », qui siègeront. Ainsi les professions libérales auront un poste « patronat », donné à un seul syndicat, non élu mais choisi par le fait du prince (UNAPL). Il se trouve que c’est celui qui reçoit le plus de « subventions » de la part des autorités, et qui donc bien entendu valide la réforme. C’est l’Etat qui fixe le nombre d’administrateurs pas la Caisse.
Quel sera le pouvoir de ce Conseil ? Vous le saurez plus tard : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de 6 mois à compter la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi afin d’organiser la gouvernance interne de la Caisse,… ses relations avec le directeur,… ses conditions de fonctionnement et de financement,… ses relations avec l’État,… »
En pratique le Conseil d’administration n’aura aucun pouvoir, il n’y a donc besoin d’aucune compétence pour les membres. Ce n’est pas une nouveauté, cela fonctionne déjà comme cela dans les caisses « autonomes ». Ainsi chaque fois que le CA de la Carmf vote une décision, elle n’est pas applicable.  Ces décisions doivent passer par l’accord de la Direction de la Sécurité Sociale, qui peut les annuler, en demander la modification. Pour le régime de base nous n’avons même pas de décision à prendre : l’Etat fixe la valeur du point, la cotisation, toutes les modalités, sans prendre notre avis. Pour nos régimes complémentaires, nos décisions sont sans objet si cela ne sied pas aux autorités. 
Il y aura quand même une petite différence par rapport au fonctionnement actuel : avant, c’est l’État qui ratifiait (ou non) les décisions des Conseils, transmises par le directeur (sens montant), demain c’est le Conseil, qui ratifiera les décisions du gouvernement, transmises par son directeur (sens descendant). J’espère que vous saisissez la nuance.
À signaler que la CNRU pilotera également les anciennes caisses (Art 50), qui ne disparaîtront pas avant 2070, je vous expliquerai pourquoi. « Le directeur général de la Caisse (certainement nommé par les autorités, ordonnance à venir).., en cas de délibération qui ne serait pas compatible avec le schéma de transformation prévu au I, informe le ministre chargé de la Sécurité Sociale, qui peut s’y opposer dans les conditions fixées par décret (à venir) ». 
Ainsi il est prévu que les anciennes caisses ne seront plus pilotées par leurs Conseils d’Administration ou leurs directeurs, ni par le Conseil d’Administration du RU, mais par le directeur, haut fonctionnaire issu de Bercy ou des Affaires Sociales, et qui changera tous les 6 ans. Le RSI a été mis en place comme cela, avec la même organisation, 15 ans plus tard il était en faillite.

MAGOUILLES SYNDICALES
L’Article 51 est totalement vide, il commence par un renvoi à des ordonnances, dans un délai de 12 mois, pour organiser les modalités de représentation, de gouvernance des professions libérales. Tout ce qui concerne les professions libérales est renvoyé à des ordonnances, cela n’empêche pas certains syndicats ou caisses de professions libérales de valider une réforme dans laquelle ce qui les concerne n’est pas encore publié. Pourquoi ? Parce que ces ordonnances vont mettre en place, comme signalé dans l’Article, un Conseil de la Protection Sociale des Travailleurs indépendants. Qu’est-ce que cela cache ? 
Alors que Delevoye avait promis que chaque caisse professionnelle pourrait continuer à gérer son action sociale, l’invalidité-décès et éventuellement un éventuel régime complémentaire, tout ceci sera géré non plus par les caisses, mais par ce CPST, commun à toutes les professions, confié aux syndicats non élus. 
Ces syndicats n’ont jamais pu se faire élire à la caisse qui est restée indépendante, et ce qu’ils n’ont pu obtenir par les urnes, ils l’ont obtenu avec la Direction de la Sécurité Sociale. Pour plus de sûreté, cela ne sera discuté ni au parlement, ni avec la profession. Les ordonnances sont prêtes, ne pas dévoiler ces dispositions dont nous avons eu connaissance dans la loi, c’est de la pure manipulation antidémocratique.
Pour terminer sur cette nouvelle gouvernance, signalons que dans beaucoup de caisses comme à la Carmf, toutes les catégories sont représentées au Conseil d’Administration : actifs (syndiqués, non syndiqués), retraités, conjoints survivants, tous ont leur mot à dire et les décisions sont prises en commun. 
Demain, il n’y aura que des quasi permanents syndiqués, non « actifs », exit les autres catégories d’affiliés.
(À suivre)
Article du Dr Gérard Maudrux

Source : blog.gerardmaudrux.lequotidiendumedecin.fr



À propos de l'auteur
Dans une première vie chirurgien urologue libéral à Grenoble, Gérard Maudrux a présidé pendant 18 ans et jusqu’à la fin de 2015 la Caisse autonome de retraite des médecins de France, la CARMF. 
Il tourne la page avec un seul regret : avoir encore des choses à dire, une vision non conformiste du système de santé à présenter. Car ses idées (il a fondé Action santé pour lutter contre la loi Evin en 1991, il veut bloquer la fuite en avant des charges, est favorable à une retraite à la carte…), le Dr Maudrux les a toujours défendues le verbe haut, au besoin seul contre tous. 
C’est ce qu’il se propose de continuer à faire à travers ce blog iconoclaste.

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