Pendant quatre heures d’une audition confuse, l’ex-ministre de la santé a montré, mardi 30 juin, l’étendue du manque de préparation et de réaction de la France face au Covid-19. Dans le déni, Agnès Buzyn affirme avoir personnellement « tout vu » et beaucoup anticipé, qu’il s’agisse des masques, des tests ou des surblouses. « Ce que nous avons mis en place au ministère est sans commune mesure avec ce que j’ai vu dans d’autres pays. »
Les députés ont été prévenants avec Agnès Buzyn, mardi 30 juin, lors de son audition devant la commission d’enquête consacrée à la gestion de la crise du Covid-19. À plusieurs reprises, ils ont même fait preuve de sollicitude envers la femme politique qui venait d’essuyer une sévère défaite aux élections municipales à Paris. L’ancienne ministre de la santé est apparue fébrile, souvent perdue dans ses notes, se tournant à de nombreuses reprises vers son ancien directeur de cabinet, Raymond Le Moign, muet mais assis à ses côtés pour l’assister.
L’objectif de cette audition est loin d’être atteint : Agnès Buzyn n’a que très peu éclairé les députés, elle qui a pourtant eu la responsabilité de la préparation du pays, jusqu’à sa démission du ministère le 16 février. Elle a plusieurs fois assuré avoir « préparé notre système de santé », grâce à sa « culture du risque » acquise quand elle était médecin oncologue, auprès de ses patients immunodéprimés, ou quand elle présidait l’Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire. « Je suis toujours en anticipation », a-t-elle assuré en introduction.
Le 17 mars, au journal Le Monde, elle avait déclaré, comme une confidence, sur sa candidature à Paris : « Je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. » Si sa perception de la crise était si aiguë, alors toutes ses décisions paraissent incohérentes, voire irresponsables.
Il y a donc un mystère Agnès Buzyn que cette audition n’aura pas éclairci. Devant les députés, elle a précisé qu’elle avait plutôt eu le « pressentiment » que les élections ne pourraient pas se tenir, au cours d’une « discussion de salon » avec Édouard Philippe. Au lendemain du premier tour, quand elle parle à la journaliste du Monde, elle avait « passé une journée épouvantable », raconte-elle aujourd’hui. « J’étais très fatiguée, on m’accusait de ne m’avoir rien vu […]. J’ai dit au Monde : arrêtez de dire que je n’ai rien vu, j’ai tout vu. »
L’ancienne ministre a commencé par retracer la chronologie de la crise, jusqu’à son départ du ministère le 16 février. « Dans une nouvelle crise sanitaire, avec un agent pathogène émergent, on adapte la réponse aux informations dont on dispose », a-t-elle expliqué. L’alerte d’une épidémie de pneumonie à Wuhan de cause inconnue est lancée par la Chine le 31 décembre. « Le 21 janvier, on apprend que c’est un nouveau coronavirus », se souvient Agnès Buzyn. Elle situe l’annonce la plus importante le 22 janvier, « quand l’Organisation mondiale de la santé dit qu’il y a une transmission interhumaine ». Le risque épidémique prend alors corps.
Pour l’ancienne ministre, « ce que nous avons mis en place au ministère de la santé est sans commune mesure, en termes d’anticipation, avec ce que j’ai vu dans d’autres pays ». Le 21 janvier, lors de sa première conférence de presse sur le sujet, elle rappelle avoir déclaré : « Nous sommes au début de l’épidémie, la situation est très évolutive. » Si elle juge alors que le risque d’introduction en France « est faible », il « ne peut être exclu ». Elle s’est d’ailleurs félicitée, mardi, d’être « la seule ministre de la santé européenne à avoir organisé une conférence de presse aussi tôt ».
La rapidité de la propagation mondiale du virus est sidérante, et la France aux premières loges. Dès le 24 janvier, les trois premiers cas Français, de retour de Wuhan, sont diagnostiqués à Bordeaux. Elle assure alors relever les signaux faibles : « Le 23 janvier, les autorités chinoises ferment la ville de Wuhan, ce qui est très bizarre avec le nombre de cas affichés. » Le lendemain tombe l’information que les Chinois vont construire un hôpital de mille lits à Wuhan. « C’est discordant avec les cinquante cas », note-t-elle, en se trompant cependant, car à l’époque, il y a 600 cas rapportés à Wuhan. Et elle s’interroge sur le cas du malade à Bordeaux, qui est « passé à Wuhan deux jours mi-janvier » sans aller sur le marché aux poissons, alors considéré comme le cœur de l’épidémie. « Comment se fait-il qu’il ait attrapé cette maladie ? Mon niveau de préoccupation monte d’un cran. Le 25 janvier, je mets en branle le système de santé français », assure-t-elle.
Elle débute alors un inventaire « des respirateurs, des lits de réanimation, des stocks de masques », elle demande « des scénarios de dangerosité à Santé publique de France » et « une réunion chez le premier ministre le jour même ». « Vous ne pouvez pas dire que je n’ai pas anticipé, je ne laisserai pas dire que les services n’ont pas anticipé. »
Seulement, cet inventaire des moyens ne l’a pas conduite à une prise de conscience de leurs faiblesses, pourtant criantes dès la fin du mois de février. Elle ne lance pas de commandes de respirateurs pour équiper plus de lits de réanimation, pas plus que de médicaments, alors que le problème des pénuries a été lancinant tout au long de son ministère. Elle ne s’inquiète pas non plus des capacités matérielles de multiplier les tests.
Les députés ont concentré leurs questions sur le sujet des masques. Quand la ministre de la santé a-t-elle pris conscience de la faiblesse du stock d’État ? Sa réponse n’est pas claire. Elle affirme ne pas avoir eu connaissance du courrier du 26 septembre 2018 de François Bourdillon, l’ancien directeur général de Santé publique France (SPF), au directeur général de la santé, Jérôme Salomon, dans lequel il alerte sur le fait que la plupart des masques étaient « non conformes », car « périmés ».
En revanche, elle a retrouvé dans ses « archives personnelles » un courrier du 3 octobre 2018 qui fait la liste de l’ensemble des produits périmés dans le stock stratégique de l’État, « et ils sont nombreux », relève-t-elle. Elle défend la décision de son Directeur général de la santé, qui le 30 octobre lance des commandes pour reconstituer les stocks, mais seulement de 50 millions de masques chirurgicaux, « voire 100 millions si les moyens le permettent ».
Mais les commandes ne sont jamais arrivées. Quand débute la crise sanitaire, il n’y a que 100 millions de masques chirurgicaux dans le stock d’État, très loin du milliard préconisé par les plan « pandémie » dans les années 2000. Et cela ne parait pas beaucoup l’inquiéter. Le 27 janvier, elle se félicitait d’avoir des « dizaines de millions de masques en stock », quand des Français se ruaient déjà dans les pharmacies pour en acheter.
Elle ne passe commande d’aucun masque chirurgical parce qu’« une commande était attendue fin février », explique-t-elle. Elle commande en revanche 1,1 million de masques FFP2, pour les soignants, le 30 janvier, puis 28 millions de masques FFP2 le 7 février. Elle le fait parce qu’elle prend alors conscience que les établissements de santé et médico-sociaux n’ont pas constitué de stocks, la consigne ne leur ayant jamais été passée, comme l’ont raconté aux députés les directeurs généraux de la santé. Cruel, le rapporteur Éric Ciotti lui a rappelé que les besoins des soignants sont alors de 40 millions de masques par semaine, et ceux de la population de 500 millions par semaine.
« Avec une épidémie, les mentalités évoluent », s’est contentée de dire Agnès Buzyn, admettant qu’il fallait « requestionner » les recommandations internationales qui limitaient le port du masque aux soignants, aux malades et à leurs proches dans le cadre du domicile. Mais les stocks de masques en février étaient très insuffisants, de toute façon, pour suivre ces recommandations.
Au fil des quatre heures, elle n’a presque eu aucun mot pour les soignants laissés sans masques dans les maisons de retraite, ou équipés de masques périmés dans les hôpitaux. Elle a même nié la gravité de la pénurie, se bornant à constater des « tensions ».
Agnès Buzyn a tenté de faire partager aux députés le constat de son impuissance, fin janvier, lorsqu’elle constate que les commandes de masques par les circuits habituels ne sont « plus possibles », puisque les Chinois sont les principaux fabricants de masques et qu’ils les « gardent pour eux ». Elle semble vouloir s’excuser en racontant avoir pris conscience que « la production du tissu des surblouses est située à Wuhan ».
À ce moment-là, le Ministère de la santé ne cherche pas de nouveaux fournisseurs. Ce n’est que début mars qu’une cellule interministérielle est créée pour trouver des masques, comme l’a révélé une enquête de Mediapart. « Quoi qu’il en coûte », déclarait pourtant, au même moment, le président de la République.
Article de Caroline Coq-ChodorgeSource : mediapart.fr
Pour plus d'informations
(espace réservé aux abonnés)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire