"La Vie Hospitalière"

lundi 27 juillet 2020

Ceux qui croyaient à la seconde vague et ceux qui n’y croyaient pas



« Un tournant de l’épidémie avait été marqué par la radio lorsqu’elle n’annonça plus des centaines de décès par semaine mais quatre-vingt-douze, cent sept et cent vingt morts par jour."Les journaux et les autorités jouent au plus fin avec la peste. Ils s’imaginent qu’ils lui enlèvent des points parce que cent trente est un moins gros chiffre que neuf cent dix " »
(Albert Camus, La Peste, Folio, page 136)

Le verbe "croire" ne devrait pas être un invité trop fréquent des discussions médicales et encore moins scientifiques. Si les certitudes sont rares et le doute toujours nécessaire, il convient cependant d’éviter de céder à la tentation de la croyance. Cette dernière est en effet mauvaise conseillère quand elle se transforme en conviction, que rien ne peut ébranler, et quand elle s’appuie plus encore sur des théories fantaisistes voire complotistes.

Ne croyez personne : on nous ment !


Ceux qui se risquent à émettre des hypothèses, à les discuter et qui ne refusent jamais de les infirmer quand les faits les contredisent s’exposent à voir leurs idées détournées et transformées en vérité intangible. C’est ce qui s’observe une nouvelle fois autour de l’idée de "deuxième vague" épidémique de Covid-19. Inévitablement, la formation de deux camps s’observe en effet aujourd’hui. Et celle-ci dépasse la stricte sphère scientifique et médicale. « Finie la chloroquine, le nouveau débat scientifique qui enflamme Twitter et se politise à vitesse grand V : seconde vague ou pas seconde vague ? 
De nombreux pro-chloroquine se lancent dans ce combat pour expliquer qu’il n’y aura jamais de 2ème vague et que les autorités mentent » remarque ainsi le journaliste Vincent Glad sur Twitter, qui depuis le début de l’épidémie tente d’analyser son évolution et son traitement médiatique. 
Il donne comme exemple une récente chronique de France Soir, qui s’est illustré ces derniers mois comme un fervent défenseur du professeur Raoult « Cet article que vient de publier France Soir est l’exemple typique de ce nouveau combat. 
Cela porte sur la question technique du seuil d’alerte (50 cas/100.000 habitants/semaine) mais ça se politise très vite pour expliquer que le gouvernement nous manipule » remarque-t-il. De fait, France Soir n’hésite pas à parler de la « manipulation des seuils épidémiques pour nous faire croire que l’épidémie est toujours là ».

Trop de nombres tuent les nombres


Les faits et les nombres devraient être, comme toujours, des remparts face à cette dérive. Cependant, les données disponibles manquent parfois de robustesse et ne peuvent échapper aux interprétations. D’abord, comme depuis le début de l’épidémie, la mise à disposition quotidienne d’un grand nombre d’indicateurs chiffrés, qui pourraient apparaître comme des outils non seulement de transparence mais aussi de suivi infaillible, peut favoriser la confusion. Vincent Glad le note lui-même à propos de la Catalogne jeudi 23 juillet : « Les chiffres en Catalogne étaient miraculeusement en baisse... et puis non. Près de 2.000 nouveaux cas annoncés aujourd’hui visiblement un rattrapage des jours précédents. 
En pleine période de crise, les datas ne sont pas du tout fiables d’un jour à l’autre, pas très rassurant ». Les incohérences de recensement peuvent ainsi avoir une influence directe sur les interprétations. Ainsi, le Pr Yonathan Freund, urgentiste à la Pitié Salpêtrière, se montre (comme souvent) confiant jeudi soir : « Sur toute la Catalogne, sur les 7 derniers jours cumulés : 23 hospitalisations, 3 en réas. Donc clairement aucun retour de flamme. Tout comme la Mayenne et le Finistère qui ne voient aucune reprise » note-t-il. Cependant, Vincent Glad corrige : « En fait, 301 entrées à l’hôpital cette semaine (+100 % par rapport il y a deux semaines). 
Le nombre de personnes en réa est passé de 40 à 61 en deux semaines (…). Explication de la différence : Yonathan Freund a donné les chiffres des autorités sanitaires espagnoles, qui ont visiblement un gros retard sur les chiffres publiés par les autorités catalanes ». Mais au-delà des obstacles « techniques », la quotidienneté crée un effet de loupe qui peut parfois être trompeur. C’est ce que note le Pr Yonathan Freund : « Alors bien sûr, certains jours/semaines, il y aura 10 de plus par ci par là. Ça n’est pas une tendance, c’est une fluctuation. Une tendance, c’est si jamais il y a plus 5 une semaine, plus 10 la suivante, et plus 20 ensuite (chiffres inventés je précise). Alors il paraît qu’à Paris c’est reparti. Ben non. Oui il y a eu plusieurs nouvelles admissions il y a 1-2 semaines, y compris en réa alors qu’on n’en voyait plus. Mais cela ne s’est pas amplifié, ni même confirmé » signalait-il lundi 20 juillet.

Ne pas faire confiance à notre trop bonne acuité visuelle


De son côté, le biologiste médical auteur du compte twitter Biohospitalix invite également à relativiser les chiffres (eux aussi quotidiennement répétés) concernant le nombre de tests positifs. « Il est (…) intéressant de se retourner vers la sérologie pour comprendre ce qu’il s’est passé entre le 1/01 et le 15/04. Sur cette période, 6,7 % des Français se sont séroconvertis. Cela veut dire que 4.500.000 Français au minimum ont rencontré le virus. Ce nombre est un minimum car lorsqu’on regarde des études les moins de 11 ans et les plus de 65 ans ont dû mal à séroconvertir quand bien même ils rencontrent le virus. Au 14 avril 2020 (12 heures), sur 98.073 tests réalisés dans les LBM du réseau 3 labo, 24.456 étaient positifs pour le SARS-CoV-2, soit un taux de positivité de 25 % (source santé publique France). Cela veut dire qu’il y avait eu 24.556 cas détectés sur 4.500.000 cas réels, soit un taux de détection de 0,5 % ! 95,5 % des cas n’étaient pas détectés. 
Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Là où on a fait en deux mois 100.000 tests on en fait aujourd’hui 50 000 par jour ! Cela veut dire que le taux de détection du virus a fortement bondi pour s’établir entre 5 % et 50 % (…). On le saura avec les études sérologiques dans quelques mois. Cela veut dire quoi ? Quand en février, on détectait un cas, aujourd’hui pour la même prévalence (…) on endétecterait 100. 
Cela veut dire que la vague 1 avec ces 25.000 cas détectés seraient aujourd’hui quelque part entre 250.000 et 2.500.000 PCR positives. On en est loin. Notre acuité visuelle s’est très très fortement améliorée. Où est-ce que je veux en venir ? Tout simplement au fait que nous ne sommes pas dans une seconde vague » développe le praticien.

Gentils biais mais biais quand même


Ainsi, on le voit, en se référant aux mêmes données, des observateurs proposent une interprétation très différente. Cependant, tant Vincent Glad que Yonathan Freund que l’auteur de Biohospitalix prennent systématiquement soin de nuancer leur propos, et surtout de rappeler que toute évolution significative des chiffres modifiera leur perspective. Ainsi, Yonathan Freund invite à observer avec vigilance la situation belge, tandis que Vincent Glad reconnaît que même si les derniers chiffres publiés par Santé Publique France (SPF) signalent une hausse de l’incidence, ils demeurent bas. Néanmoins, l’existence de "biais d’optimisme" ou au contraire d’un "biais pessimiste" ne peut pas être exclue chez ces observateurs, qui peuvent rapidement favoriser le "biais de confirmation" : c’est ce qui peut ainsi expliquer que Yonathan Freund se réfère aux données espagnoles pour analyser la situation de la Catalogne, quand Vincent Glad préfère mettre d’autres chiffres en avant.

Le cas emblématique de la Suède


Au-delà de leur tendance naturelle vers une interprétation, la prudence et la volonté d’une information éclairée (Yonathan Freund diffuse ainsi régulièrement des études complémentaires sur l’immunité, tandis que Vincent Glad met en avant les analyses épidémiologiques très poussées des pays étrangers dont l’Allemagne) éloignent ces observateurs de toute tentation mystique, éloignée de la science. Cependant, les précautions qu’ils prennent n’empêchent pas ceux qui les lisent d’être tentés par une dérive. Ainsi, ce qui pourrait être un débat attentif sur la lecture des chiffres se transforme sur Twitter rapidement en procès d’intention. L’utilisation de l’exemple de la Suède est à cet égard une nouvelle fois éloquente. 
Ainsi, Yonathan Freund défend : « Il faut se poser la question : veut-on totalement arrêter la circulation du virus ? Je pense que c’est illusoire. Ou alors j’espère que vous avez du temps devant vous. La solution de le laisser circuler tout en le contrôlant est probablement la bonne. Certains disent « pour protéger les personnes vulnérables, protégez-vous ». C’est peut-être faux. Pour protéger les personnes vulnérables, protégez LES, mais si vous êtes malades puis immunisés, vous les protégerez à vie. Attention, je ne dis pas qu’il faut disséminer le virus partout. Mais vouloir à tout prix arrêter sa diffusion, partout, est illusoire et pas forcément un bon calcul à long terme ». Une telle démonstration lui vaut d’être accusé de vouloir voir appliquer en France la même politique que la Suède, qui avec son taux de décès par million d’habitants plus élevé que notre pays (mais inférieur à celui de la Belgique, de l’Espagne et du Royaume-Uni) est présenté comme un épouvantail et un contre-exemple. Pourtant, non seulement Yonathan Freund a toujours pris soin de ne jamais se déclarer hostile au confinement, mais surtout il est éclairant de constater que la même Suède peut au contraire être présentée comme la démonstration de l’effet restreint de cette mesure (puisqu’elle a été moins touchée que des états où les restrictions de déplacement ont été très marquées) ! Avec cette utilisation à géométrie variable du cas suédois, on perçoit combien la discussion échappe à l’analyse scientifique pour occuper un autre terrain. D’ailleurs, Yonathan Freund ne peut que déplorer : « Pour une raison qui me dépasse, je suis devenu très suivi par masse de comptes complotistes, souverainistes, homophobes, fachos... svp passez votre chemin ».

Que faut-il attendre du champ politique ?


Face à cette situation, l’arbitrage est attendu du champ politique. La décision de santé publique doit ainsi probablement savoir d’une part s’émanciper du débat scientifique où le doute et la remise en question, essentiels pour la construction de la science, sont de mauvais conseillers pour l’organisation et d’autre part demeurer éloignée des croyances. Alors que la première phase de l’épidémie n’a pas toujours permis un parfait équilibre, faut-il "croire" en des jours plus heureux ? Pas sûr, lorsqu’on constate l’influence de plus en plus importante de l’opinion publique. C’est ce que remarque ainsi sur le site de l’Institut Montaigne, Nicolas Bauquet, à propos de la question du port du masque obligatoire : « Il est très intéressant de constater ainsi l’irruption de la société civile dans les débats sanitaires, et sa capacité à influer sur certaines décisions publiques en court-circuitant les verrous bureaucratiques et les silos corporatistes ». Si l’analyste semble s’en féliciter tout en notant que « C’est maintenant aux politiques de trouver les voies et moyens pour instaurer un dialogue avec les citoyens, sans paraître simplement céder aux injonctions des réseaux sociaux » on peut se demander si, même si elle a abouti à une mesure que l’on peut considérer comme pertinente, cette force est une nouvelle nécessairement encourageante.

On pourra se poser cette question et d’autres en se promenant sur Twitter, notamment sur les fils de :

Vincent Glad  
Yonathan Freund  
Biohospitalix  
Et le site de l’Institut Montaigne

Aurélie Haroche





Source : jim.fr
Pour plus d'informations 
Copyright © http://www.jim.fr






...

Aucun commentaire: