Des milliers de soignants ont manifesté, mardi, pour exprimer leur déception face aux accords du Ségur de la santé et réclamer des moyens pour l’hôpital public
« Ségur = imposture. » De nouveaux slogans se sont ajoutés, mardi 14 juillet, à ceux désormais habituels dans les rangs des soignants mobilisés ces derniers mois pour réclamer plus de moyens pour l’hôpital public. Au lendemain des accords du Ségur de la santé, des milliers d’infirmières, d’aides-soignantes, de manipulateurs radio… ont défilé à Lyon, Toulouse, Bordeaux, Paris, à l’appel de plusieurs syndicats et collectifs, dont la CGT, SUD, Solidaires, le Collectif inter-hôpitaux, pour dire leur insatisfaction face à ces accords signés à Matignon avec plusieurs syndicats majoritaires (FO, CFDT, UNSA).
Pour les manifestants, le compte du Ségur n’y est pas. « Ce n’est pas à la hauteur, cela fait plus d’un an qu’on demande 300 euros, et ce n’est que justice, c’est un rattrapage », défend Yann Duvinage, masseur-kinésithérapeute à l’hôpital de Saint-Maurice (Val-de-Marne), dans le cortège parisien, qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes, depuis la place de la République jusqu’à celle de la Bastille.
Ce soignant, élu CGT, rappelle, comme nombre de ses collègues, que cela fait une décennie que les salaires de la fonction publique hospitalière sont gelés. « L’hôpital va continuer à se casser la figure, dénonce-t-il. Il n’y a rien dans le Ségur pour augmenter le nombre de lits : comment imaginer qu’on est prêts pour une seconde vague ? On va se retrouver avec le même bricolage si le Covid-19 repart, sauf que le monde hospitalier est à bout. »
« C’est de l’enfumage, on est des héros »
Le texte signé le 13 juillet, portant sur le volet des revalorisations salariales et des carrières et salué comme un « accord historique » par le premier ministre, Jean Castex, prévoit une enveloppe globale de 8,1 milliards d’euros, qui doit notamment permettre une augmentation de 183 euros net pour les personnels paramédicaux (infirmiers, aides-soignants) et non médicaux (agents techniques et administratifs) d’ici à mars 2021.
« J’avais l’espoir qu’on obtiendrait des choses, j’y ai cru, dit Pierre, jeune infirmier qui travaille depuis un an et demi à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. Mais c’est totalement insuffisant et j’ai perdu l’espoir, maintenant qu’ils ont donné quelque chose, la population va croire que c’est bon, alors que pas du tout. »
« On n’est pas des marchands de tapis », s’énerve Marie, infirmière en psychiatrie à Rouen, venue grossir les rangs du cortège parisien. « C’est de l’enfumage, on est des héros, mais on n’a toujours rien sur les lits, quasiment rien sur les postes », dit-elle, à propos des 10 000 à 15 000 postes promis par le premier ministre. « Mais l’après-Covid-19 en psychiatrie, c’est pire que le Covid-19, raconte-t-elle. Les patients, après être restés confinés, nous arrivent dans un état lamentable, dénutris… J’avais une femme hier de 1 mètre 65, 40 kilos, terrorisée par l’idée de ressortir. »
« Macron asphyxie l’hôpital »
En cette période de congés estivaux, la situation de l’hôpital inquiète, après ce que beaucoup appellent une « parenthèse » du Covid-19, pendant laquelle des moyens ont pu être débloqués plus facilement. « Ça a recommencé comme avant, ils veulent du chiffre, de l’activité, mais il n’y a toujours pas les effectifs suffisants dans les services », dit Elisabeth, manipulatrice radio au CHU de Lille.
Dans son étage, c’est la bataille pour préserver le temps de nettoyage des machines et instruments entre les patients. « Avec la crise, les collègues sont fatigués, il y a aussi des gens en arrêt », souligne-t-elle, choquée de voir nommé comme premier ministre Jean Castex, l’un des artisans du système de « tarification à l’activité » dans les hôpitaux au début des années 2000, à l’origine de « la destruction du service public », juge-t-elle.
Quelques heures plus tôt, lors de la cérémonie du 14 Juillet sur la place de la Concorde, placée par Emmanuel Macron sous le signe de l’hommage aux soignants, une banderole géante s’est envolée pour dénoncer la situation de l’hôpital, portée par des ballons. « Derrière les hommages, Macron asphyxie l’hôpital », pouvait-on y lire. Deux personnes ont été brièvement interpellées pour « survol d’une zone interdite ».
Pour Mireille Stivala, secrétaire générale CGT-Santé, difficile de recevoir cet hommage du président de la République. « Quand on sait que la reconnaissance de la maladie professionnelle du Covid-19 pour nos agents a été conditionnée à la sévérité de la pathologie et qu’on n’a toujours aucun chiffre sur le nombre de soignants contaminés, décédés, ce n’est pas possible », dit -elle. Pour la responsable, le bilan de la crise et des responsabilités est « totalement éludé ».
« Un scandale d’État »
Au-delà de la déception sur les salaires et les moyens, de nombreux manifestants font part de leur colère face à ce qu’ils ont vécu ces derniers mois.
« Si on a transféré des patients à l’autre bout de l’Europe, ça montre bien que l’hôpital n’est pas en capacité de tenir », pointe Rachida Abdelli, aide-soignante encartée à FO, en désaccord avec son syndicat qui a signé le Ségur. « On n’a soigné que les “Covid”, on n’a pas pu soigner les autres, des gens sont morts chez eux, insiste-t-elle. Nous, on gardait les masques chirurgicaux pendant huit heures, c’est un scandale d’Etat. »
À Paris, la manifestation a été marquée par des heurts sporadiques entre les forces de l’ordre et des manifestants en fin de cortège sur la place de la Bastille. Les gendarmes ont fait usage de gaz lacrymogène.
Parmi les manifestants, certains venaient d’un rassemblement organisé par des « gilets jaunes » devant l’inspection générale de la police afin de dénoncer les violences policières, en présence de certaines figures du mouvement blessées lors de manifestations.
Olivier Véran répondra aux « attentes » des personnels de santé la semaine prochaine
Les personnels soignants ont « encore des attentes », malgré les revalorisations salariales annoncées lors du Ségur de la santé, a reconnu mardi 14 juillet le ministre de la santé, Olivier Véran, qui a promis d’y répondre la semaine prochaine par de nouvelles mesures « non salariales », notamment sur l’« organisation de l’hôpital ». Après la signature des accords salariaux lundi, « un temps d’explication est nécessaire », a-t-il estimé à l’issue d’une visite au SAMU de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne).
Olivier Véran a par ailleurs minimisé l’ampleur de la mobilisation des soignants, qu’il a estimée à « quelques centaines de soignants à Paris ». Les accords salariaux ont été signés « avec des syndicats représentatifs », ce qui n’était « pas arrivé depuis des années », a-t-il fait valoir. « Ça ne veut pas dire que tout le monde est forcément d’accord, [mais] que les avancées ont été reconnues par la majorité des personnes qui représentent le personnel. »
Article de Camille Stromboni
Source : lemonde.fr
Pour plus d'informations
...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire