"La Vie Hospitalière"

mercredi 11 mars 2020

Le Coronavirus est un réel danger ! Deux scientifiques font le point

« Nous sommes très préoccupés ». Pour les médecins qui souhaiteraient avoir un panorama complet des connaissances sur le nouveau coronavirus, deux scientifiques proposent une revue exhaustive de la littérature. Laurent Lagrost est Directeur de recherche à̀ l’INSERM. Didier Payen est l’ancien chef du service d’anesthésie-réanimation de l’Hôpital Lariboisière à Paris.

Après deux mois d’annonces, de révélations, d’étonnements et de réactions, nous y voyons un peu plus clair, grâce à la fulgurance de la réaction sanitaire, épidémiologique, scientifique, sociologique, politique et économique. La lecture attentive des données récentes, et maintenant disponibles, semble confirmer l’impérieuse nécessité de considérer la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19), maladie infectieuse causée par le coronavirus SARS-CoV-2, avec beaucoup de sérieux et de pragmatisme. Ceci n’exclut pas, bien au contraire, de rester positif et optimiste grâce à la rigueur d’analyse des faits, en évitant la panique née de l’ignorance, de l’incohérence d’attitude ou de la course au sensationnel.
Ainsi, les sources les plus sérieuses comme le relevé global des cas rapportés chaque jour par l’Université Johns Hopkins CSSE, les publications volontairement rapides en accès libre dans les prestigieux Lancet, Journal of American Medical Association et New England Journal of Medicine par des équipes chinoises en collaboration avec des auteurs extérieurs, nous éclairent et nous instruisent (1-3). Le SARS-CoV-2 qui nous touche (ou peut-être les SARS-CoV-2 comme il ressortira peut-être un jour des études rétrospectives) est un réel danger. 
Si les comparatifs en vogue mais nécessaires avec le SRAS, le MERS, Ebola ou autres épidémies H1N1 présentent un réel intérêt pour les experts épidémiologistes et cliniciens, leur présentation « à la découpe » dans les médias semble pouvoir produire aujourd’hui un effet contre-productif et erratique dans l’esprit du grand public, premier concerné. La transparence, si nécessaire pour tous, semble trouver des limites dictées parfois par des connotations affairistes et/ou politiques, arguant de la nécessité d’éviter la « panique ». Celle- ci naît pourtant de l’ignorance ou pire du doute sur l’information donnée. Ainsi, s’il est reconnu aujourd’hui que la pandémie de grippe espagnole de 1918, due à une souche H1N1, a tué entre 50 et 100 millions d’individus, plus que la peste noire, bien peu de nos compatriotes la placeraient pourtant d’emblée devant la première guerre mondiale et la considèreraient tout aussi massacrante que la seconde. Et pourtant.

Ainsi, les virus de l’infiniment petit semblent précipiter l’humanité dans un abîme de perplexité et d’oubli. Aujourd’hui, le vaccin contre la grippe saisonnière existe, mais le citoyen français rechigne pourtant à se faire vacciner, devant le doute semé sur l’innocuité du vaccin. Pied de nez à notre histoire, à celle des grandes guerres ou à celle de Louis Pasteur ? Fruit d’une désinformation coupable auprès d’esprits rebelles ? 
Il demeure que la grippe saisonnière tue entre 6.000 et 15.000 personnes chaque année dans notre pays pour un taux de mortalité de l’ordre de 0,1%, soit 20 à 25 fois plus faible que le taux de mortalité évalué pour l’instant pour le SARS-CoV-2. Au passage, les nouvelles pour la grippe saisonnière au cours de l’hiver 2019-2020 ont été exceptionnellement bonnes avec seulement 52 morts à ce jour. Il est raisonnable de considérer le taux de mortalité du SARS-CoV-2 beaucoup plus élevé que celui de la grippe. 

Si le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ont un taux de mortalité beaucoup plus élevé que celui de la grippe saisonnière et de la Covid-19, leurs propagations ont été relativement lentes et ont concerné finalement beaucoup moins de cas. Enfin, si Ebola fait trembler l’Afrique et le Monde, avec un taux de mortalité considérable (de l’ordre de 40 à 50% avec 15.000 décès depuis 1976), sa dissémination a été beaucoup, beaucoup plus lente que celle du SARS-CoV-2. Une illustration nouvelle d’un principe : un virus qui tue moins a plus de chances de se propager qu’un virus qui tue davantage ou le résultat d’une arithmétique dans laquelle le premier aura plus d’opportunités, et donc une plus grande probabilité de se reproduire et se transmettre que le second.
En fait, considérer chacun des paramètres (contagiosité, stabilité et affinité du virus, mortalité...) de manière isolée expose à des biais. Seule une combinaison complexe de toutes les caractéristiques d’un virus est de nature à en qualifier sa dangerosité. Et puis, à la complexité de la froide équation du calcul de risque vient s’ajouter le vertige immense de l’univers des grands nombres, malheureusement trop souvent galvaudé par le confort facile des fractions et des pourcentages. Le passage de 10 à 20 cas fin 2019 en chine n’a pas inquiété ni impressionné grand monde, contrairement à celui de de 20.000 à 40.000 un mois plus tard. Et pourtant, il s’agissait bien dans les deux cas d’un doublement du nombre de cas.
Enfin, et au-delà des chiffres et du décompte froid et glacial des cas et des décès, quid des femmes et des hommes, de leurs existences, de leurs relations et de leurs expériences en somme ? Quid des formes sévères et des séquelles de celles et ceux qui ne sont pas morts mais n’ont pas encore récupéré, des comorbidités, des complications, de leurs conséquences sur la qualité de vie future, des cicatrices aux us et coutumes et aux mœurs sociales et culturelles, des liens transgénérationnels, des impacts économiques ?
Au cœur de la cellule familiale, les individus trouveront-t-il vraiment du réconfort au pied du gisant de leur aïeul dès lors qu’ils seront instruits que le taux de létalité reste tout de même moins élevé pour celles et ceux qui sont dans la force de l’âge ? Les hommes jalouseront-ils les femmes pour leur plus grande résistance au SARS-CoV-2 ? Commettront-ils la maladresse de ne plus contrôler leur température sous prétexte que d’autres l’ont masquée en prenant du paracétamol ? Oublieront-ils de se laver les mains au savon au prétexte que la fiole de gel hydroalcoolique est vide ? Leur refusera-t-on l’accès aux masques FFP2 ou FFP3 au prétexte qu’ils ne serviraient à rien quand on ne sait pas s’en servir ?
Celles et ceux avec qui nous avons échangé ces dernières semaines connaissent déjà notre opinion et notre position sur la Covid-19 et ses conséquences. Nous sommes très préoccupés. Cela n’engage que nous et beaucoup restent très dubitatifs et auraient tendance à ramener et résumer notre position à celle de pessimistes rabat-joie, de bougons invétérés ou bien encore d’oiseaux de mauvais augure. Nous n’en voulons à personne bien sûr mais, au risque de nous tromper et de nous couvrir de ridicule, nous insistons tout de même... La Covid-19 est un réel danger, alors... agissons !

Coronavirus SARS-CoV-2, de qui parle-t-on ?

Les virus sont aussi vieux que les cellules constituant les organismes terrestres et certains scientifiques pensent même que les premiers sont probablement issus des seconds. Le virus de la Covid-19, le SARS-CoV-2, comme les autres betacoronavirus, appartient à la très large famille des Coronaviridae. Constitués notamment d’un ARN simple-brin de grande taille, ils sont en constante mutation et évolution. Bien que capables d’infecter plusieurs espèces, au premier rang desquelles les chauve-souris, à ce jour, 7 types de coronavirus ont été identifiés comme pouvant infecter l’Homme, avec des conséquences allant de bénignes à graves (comme pour le SRAS-CoV en 2002 et le MERS-CoV en 2012).
Pourquoi donc ces yeux hagards et dubitatifs découvrant aujourd’hui sur les flacons de gel hydroalcoolique, fabriqués avant l’arrivée du nouveau SARS-CoV-2, l’indication « Coronavirus » ? La raison pour laquelle les coronavirus sont mentionnés sur les étiquettes des produits, pourtant manufacturés il y a quelques années, est... qu’ils existent depuis des millions d’années et ont suscité une inquiétude particulière depuis 2002, année d’apparition du SRAS. Tout simplement. Les rois des imbéciles à la source des versions complotistes les plus délirantes circulant aujourd’hui sur la toile et concernant l’origine douteuse des coronavirus ont donc, eux aussi, droit à leur couronne.

Le SARS-CoV-2 est plutôt discret et très contagieux. Il sera donc difficile à contenir. Son affinité pour les cellules humaines et pour le récepteur ACE-2 (l’enzyme de conversion de l’angiotensine), sa porte d’entrée dans la cellule, serait 10 à 20 fois plus élevée que celle du SRAS-CoV, d’où une très forte transmissibilité, y compris par des sujets asymptomatiques. Un vrai problème. Chez les patients infectés, le SARS-CoV-2 a pu être retrouvé dans de nombreux fluides et excrétions biologiques (sécrétions de la bouche et du nez, sang, selles, urines...). Les possibilités et modalités de transmission sont donc multiples. Elles augmentent ainsi les incertitudes et compliquent les recommandations.
La survie du SARS-CoV-2 sur surface inerte serait de l’ordre de 1 à 9 jours, en particulier en atmosphère humide et à basse température. Une bonne nouvelle tout de même : le SARS-CoV-2 est sensible aux désinfectants usuels tels que l’eau de Javel à 0,5%, l’eau oxygénée ou l’alcool à 70% (source : Société Française de Microbiologie (SFM) - 21/02/2020). En France, le diagnostic spécifique de la COVID-19 est réalisé actuellement par une méthode de biologie moléculaire (RT-PCR spécifique) sur un écouvillonnage nasopharyngé dont le résultat peut être obtenu entre 1 et 4 heures selon la technologie utilisée. Aucun test commercial simple n’est actuellement disponible.

Les caractérisitiques des personnes infectées

Plusieurs articles ont été récemment publiés et donnent un premier aperçu des caractéristiques des patients infectés par le SARS-CoV-2 en Chine. Ils portent sur des groupes de 52 à 72.314 cas (1-3). Comme pour le SRAS-CoV et le MERS-CoV, le SARS-CoV-2 peut entraîner des infections respiratoires dont les manifestations vont du simple rhume à un syndrome respiratoire sévère, pouvant nécessiter intubation et ventilation. En bref, comme communiqué par l’OMS et dans l’ordre, les symptômes de la Covid-19 sont la fièvre (88%), la toux sèche (68%), la fatigue (38%), la production d’expectorations (33%), le souffle court (19%), la gorge irritée (14%), les maux de tête (14%), les douleurs musculaires (15%), les frissons (11%), la nausée ou les vomissements (5%), la congestion nasale (5%) et la diarrhée (4%). 
Certains patients infectés n’ont aucun symptôme et déclarent se sentir bien (4, 5). Il ressort des études récemment publiées que 80 à 85% des sujets infectés par le SARS-CoV-2 n’ont pas ou peu de symptômes, alors que 15 à 20% développent une maladie plus sévère, souvent associée à un âge avancé ou à d’autres comorbidités.
Enfin, et c’est là le point le plus inquiétant, environ 5% des sujets infectés entrent dans une phase critique de la maladie et sont admis dans les services de maladies infectieuses et de réanimation médicale, pour un taux de mortalité de l’ordre de 50% dans ce groupe, un même ordre de grandeur que pour les patients présentant un choc septique. 
Au total, sur l’ensemble des patients infectés symptomatiques, le taux de mortalité est de l’ordre de 2,3%. Beaucoup plus que pour la grippe saisonnière donc. Le SARS-CoV- 2 infecte toutes les classes d’âge, mais de façon différenciée. 87% des patients ont entre 30 et 79 ans, alors que moins de 1% sont dans la classe d’âge inférieure à 10 ans. La fréquence des formes sévères et le taux de mortalité augmentent avec l’âge (15% chez les patients de plus de 80 ans et 8% chez les patients entre 70 et 79 ans) (2).

Il est donc temps de se questionner sur l’origine de l’hétérogénéité de la réponse des individus face à ce virus, entre l‘absence de symptôme et la survenue d’un état grave potentiellement mortel. Cette question suggère l’impérieuse nécessité de connaitre la réponse de l’hôte à cet antigène viral. Elle reste, pour le moment, relativement méconnue et doit faire l’objet d’un énorme effort de recherche. Nous devrons en avoir les moyens. Les crédits de recherche permettront d’approfondir la virologie, mais aussi la connaissance de la réponse inflammatoire de l’hôte. A défaut, le clinicien se cantonnera à des traitements de support, dans l’espoir d’une issue positive.
Pour l’heure, on ne peut que recommander la vigilance, la protection et le confinement
La nation chinoise a été remarquable de réactivité, de lucidité, de sérieux, même si cela s’est traduit par une dimension politique forte. Hommage à la mémoire du Docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte.
Une situation totalement inattendue et inimaginable, notamment à titre expérimental, concerne le navire de croisière Diamond Princess (6). Ce bateau transportait 3700 passagers, parmi lesquels 10 cas d’infection au SARS-CoV-2 ont été détectés dès le 3 février 2020. Le 20 février 2020, soit 17 jours plus tard, 619 passagers et personnels de bord (17%) ont été détectés positifs. En fait, le taux de reproduction de base (R0 ou nombre de cas secondaires produits par un individu infectieux) a été évalué 4 fois plus élevé que celui mesuré au cours de la même période dans la ville de Wuhan en Chine. Illustration et confirmation, si besoin était, que le rassemblement de nombreuses personnes dans un même endroit est propice à la propagation très rapide du virus si les conditions d’isolement ne sont pas parfaites. Sans intervention (confinements et quarantaine sur le bateau), une publication récente a toutefois estimé que 79% des passagers (en place des 17% constatés) auraient été contaminés sur la même période (6).

Donc, il faut être proactif car la promiscuité amplifie considérablement le risque de transmission du virus. Mais prendre les bonnes mesures n’est pas une affaire aussi simple. Ainsi, des chercheurs ont récemment calculé que, si la mise en quarantaine et l’isolement dans leurs cabines des passagers du Diamond Princess a de fait prévenu l’apparition de quelques 2000 cas supplémentaires sur le bateau, une évacuation précoce du navire, dès le 3 février, aurait permis de détecter et d’isoler les 76 porteurs du virus estimés à la date du 3 février et aurait permis d’éviter la propagation qui a suivi à bord. Une autre illustration donc, celle de la complexité des situations, des approches, des prises de décision et de la mise en œuvre des dispositifs de prévention.
Que faut-il en déduire enfin ? Que le diagnostic précoce, sur une très large échelle et y compris chez des patients asymptomatiques, permettrait d’identifier et d’isoler très tôt les sujets porteurs dans des conditions appropriées en terme de confinement et d’acceptation psychologique. La mesure a été récemment appliquée en France mais à petite échelle et pour des groupes de patients de retour de zones à risque, mais asymptomatiques et finalement non-infectés, donc, comme ce fut le cas, sans transmission et amplification au sein du groupe. Heureusement. Mais cette situation n’a pas permis d’évaluer en conditions réelles le risque de créer un nouveau cluster au sein duquel le virus se propage en touchant une majorité si ce n’est la quasi-totalité des individus, amplifiant ainsi l’infection que l’on souhaite pourtant combattre. Il faudrait donc dépister largement pour identifier, puis isoler les individus positifs, mais pas en cluster ! Donc travailler urgemment à l’échelle du foyer familial en prônant les mesures hygiéniques et l’isolement individuel et non plus travailler seulement à l’échelle d’un large groupe d’individus, ce qui peut être contreproductif et augmenter le réservoir à virus.
Il est possible d’affirmer aujourd’hui sans détour que la Covid-19 est au moins autant contagieuse que la grippe saisonnière mais est, aussi et surtout, beaucoup plus mortelle. L’assomption fausse « la Covid-19 n’est pas plus grave que la grippe saisonnière », que nous avons maintes fois entendue ces dernières semaines, y compris après la publication des données chinoises, illustre à elle- seule l’incrédulité et préfigure la difficulté pour certains de nos concitoyens à accepter, sans broncher, la perspective d’une mise en quarantaine au domicile familial. Elle pourrait pourtant s’avérer incontournable et se pratiquer sur une large échelle dans les semaines qui viennent. 
Dans ce contexte, les impacts psychologiques d’une mise en quarantaine ne sont pas à négliger et doivent être anticipés. Ils peuvent aller jusqu’aux symptômes du stress post-traumatique et incluent pêle-mêle la confusion, la colère, la frustration, l’ennui, ainsi que la crainte du rationnement, du défaut d’information, de la perte financière et de la stigmatisation (7).
Mais, en situation de crise, nos compatriotes ont montré par le passé qu’ils savent, dans des conditions critiques et dramatiques, faire preuve de réalisme, de courage, de responsabilité et de cohésion. Il faut donc faire confiance aux citoyens et à leurs valeurs en diffusant largement et sans détours les vraies informations, seules capables de combattre les fake news, même si elles sont inquiétantes. Cacher les informations, masquer nos ignorances et nier nos limites ne sert à rien, si ce n’est à inquiéter davantage, à instiller le doute, à réduire l’adhésion à une démarche responsable et altruiste et à renforcer les comportements compulsifs. Le sentiment d’appartenance et l’adhésion à un protocole d’isolement se conjugueront et se nourriront toujours davantage d’une démarche éclairée et volontaire que d’une disposition contrainte et mal comprise, qui sera souvent perçue comme liberticide.

Comment se protéger ?

Alors, comment s’y prendre ? Le virus de la Covid-19 se transmettant principalement de personne à personne, une première et sage précaution consiste à se tenir à distance (de l’ordre de 2 mètres) de son interlocuteur, tout particulièrement en cas de toux et d’éternuements puisque le virus est contenu dans les gouttelettes respiratoires. Ainsi, les contacts physiques doivent être bannis, du moins temporairement... Mais, écartons d’emblée certaines craintes. Le modèle social à la française persistera et survivra bien à l’abolition temporaire de la poignée de main et de la bise. 
Faisons fi de cette épitaphe aux câlins et aux bisous. Notre combat face au virus et notre reconquête sociale passeront par : « je me protège et je m’isole, donc je protège les autres ». Et gardons à l’esprit que si les personnes malades sont les plus susceptibles de transmettre le virus, les sujets asymptomatiques le peuvent également.
Une autre possibilité est la contamination au contact de surfaces ou d’objets sur lesquels le virus est présent. Ensuite, le simple geste de se toucher la bouche, le nez ou les yeux peut constituer un mode de contamination. Le nettoyage des surfaces de façons répétées deviendra un réflexe, sachant que le virus peut rester sur une surface non nettoyée pendant 7 à 9 jours.
La durée d’incubation, évaluée en moyenne à 7 jours, s’échelonnerait entre 2 et 14 jours, avec des durées beaucoup plus longues récemment rapportées et pouvant aller jusqu’à 28 jours. Les précautions et consignes doivent donc s’inscrire dans la durée.
Une sage décision en cas d’épidémie de Covid-19 est de décider soi-même de rester à la maison, en limitant au maximum ses déplacements et contacts avec les autres, évitant ainsi toute contamination de personne à personne. Et ça fonctionne dans les deux sens ! Il convient alors de s’assurer que les éléments essentiels sont à disposition à la maison : produits en quantités suffisantes pour l’entretien des surfaces et le lavage des mains, stock de médicaments pour les personnes sous traitement, réserves raisonnables de nourriture pour éviter de courir au SuperMarché du quartier, utiliser des chambres et des salles de bain séparées quand disponibles, reporter les rendez-vous et les agapes en famille ou entre amis et interdire à Gros Toutou et Petit Minou de quitter la maison. Si nos animaux n’ont aucune chance d’être malades et de transmettre le SARS-CoV-2 des humains, ils demeurent très câlins et leur pelage peut alors constituer un hébergement et un véhicule idéal pour les gouttelettes contagieuses des personnes rencontrées à l’extérieur au cours de rendez-vous aussi tendres que secrets.
 A ne pas négliger : l’accès à l’eau de boisson. Disposer d’un appareil à osmose inverse pour purifier l’eau du réseau est un atout dans ce contexte. La panoplie et les préconisations du survivaliste en somme !
Il faut utiliser des mouchoirs jetables et observer une hygiène des mains irréprochable. Le gel hydroalcoolique est bien sûr une solution, mais de seconde intention. En effet, un lavage des mains au bon vieux savon de Marseille sous le robinet fait parfaitement l’affaire lorsqu’il est pratiqué pendant une vingtaine de seconde et ceci après chaque contact potentiellement contaminant. 
Le port de gants jetables constitue également un excellent réflexe, à condition de s’en débarrasser correctement. Outre l’hygiène du corps, l’entretien méticuleux des surfaces et des objets est un Must.
Et les masques enfin ? Bien que largement et injustement dénigrés, ils sont pourtant très utiles et très efficaces. Leur inefficacité apparente provient, pour une très grande part, d’erreurs et d’un déficit de formation à leur bonne utilisation. Ainsi, contrairement au masque chirurgical classique, seuls les masques de norme FFP2 ou FFP3 bloquent l’entrée du virus dans les voies respiratoires. Ceci reste vrai que si le masque est bien adapté et positionné sur le visage sans fuites sur les bords. Les masques FFP2 et 3 deviennent vite humides et, donc, la barrière qu’ils constituent inefficace. Ils doivent être renouvelés toutes les 2 à 3 heures avec précaution, le filtre du masque lui-même constituant un piège à virus potentiellement contaminant. Les masques FFP2 sont essentiels aux personnels soignants pour lesquels il est impératif d’y accéder de façon prioritaire et non- contingentée.
L’épisode que nous traversons a une valeur éducative, en permettant de répéter et d’imprimer des réflexes bien maitrisés. Gardons à l’esprit que la mise en œuvre de ces bonnes pratiques appelle de la systématicité et de la rigueur et doivent être observées sur la durée. Mais avec le temps et l’expérience, les habitudes se prennent vites. Elles ajoutent une dimension citoyenne à la crise, des citoyens aidant d’autres citoyens quand ils faillissent.

Les occasions manquées

Notre pays a pourtant déjà connu des alertes, chaque année avec la grippe saisonnière et en 2009 avec la grippe H1N1. Cette dernière a conduit à l’achat de doses vaccinales en très grand nombre (pour un coût total de l’ordre de 400 millions d’euros) et au stockage de très nombreuses boites de Tamiflu dans les hôpitaux, médicament qui n’a malheureusement aucun intérêt dans le contexte de la Covid-19. Le vaccin est arrivé rapidement, mais moins vite que la décroissance de l’épidémie qui était déjà amorcée. 
Ceci a laissé des traces dans les esprits, la population pensant avoir été alertée pour des raisons futiles et, même, pour rien. Inutile de ressasser les regrets, mais il y eut bien des rendez-vous manqués, notamment celui de l’information et de la formation du grand public. Par exemple, on peut déplorer que des masques FFP2 n’aient pas fait l’objet d’une fabrication anticipée et sur une très large échelle, d’une distribution large et d’une formation à leur utilisation adéquate au sein de la population de notre pays. Plus simple encore, les réflexes de base concernant l’évitement des contacts, les distances de sécurité entre individus, le lavage soigneux des mains et les précautions de décontamination ne sont pas, ou sont mal maîtrisés, encore aujourd’hui. A méditer en comparaison à la culture et aux pratiques courantes dans d’autres pays, comme le Japon.

La détresse et le démantèlement de l’hôpital public au cours des dernières années n’arrangent en rien la situation. Comme quoi, dans notre pays, nous savons dépenser beaucoup pour de petits riens et économiser peu pour de fâcheuses conséquences. 
Et si, pour une fois, nous osions investir beaucoup et nous réinvestir ensemble pour une juste récompense ? Toutefois, nous risquons d’entrer très prochainement en phase d’épidémie, ce qui malheureusement ne constituera pas le moment le plus opportun pour informer et former efficacement, dans le calme et la sérénité. On sème mal par temps d’orage...

Les espoirs

Le virus SARS-CoV-2 fait actuellement l’objet d’une recherche intense et acharnée. Les connaissances progressent chaque jour, qu’elles concernent la nature du virus, son évolution, ses modalités d’entrée dans la cellule, ses conséquences physiopathologiques, la fabrication d’un vaccin, la recherche de nouveaux traitements ou bien encore le repositionnement d’anciens. Des dizaines d’essais cliniques sont en cours, par exemple avec des molécules antivirales ou des plasmas de patients précédemment infectés. Les objectifs primaires sont notamment d’améliorer les symptômes et de réduire ou supprimer la charge virale.
Une très bonne nouvelle semble peu à peu émerger, même s’il est encore trop tôt pour l’affirmer : le SARS-CoV-2 n’aime pas le beau temps et pourrait être sensible aux UV et au temps chaud et sec. L’examen attentif et quotidien, depuis près de deux mois, de la progression pays par pays du nombre de cas est très éclairant. Actuellement, la Covid-19 se limite principalement à l’hémisphère nord, en se propageant sur un axe est-ouest. La progression sur un axe nord-sud est très faible et les pays de l’hémisphère sud qui ont importé le SARS-CoV-2 ne semblent pas connaître d’explosion de la propagation et du nombre de cas. Il nous faut donc garder espoir et nous montrer attentifs et patients en attendant... le réveil de la marmotte ! De plus, et avec les beaux jours, les comportements changeront. Avec la vie au grand air, moins de temps passé dans les espaces clos, donc moins de risque de transmission.
Enfin, les coronavirus contiennent un ARN simple-brin de grande taille, sujet aux erreurs au moment où il est recopié dans la cellule, contrairement à la molécule d’ADN double brin beaucoup plus stable. Les coronavirus ne disparaitront pas, mais il est raisonnable de penser que l’ARN de grande taille et son instabilité constituent le talon d’Achille du SARS-CoV-2. Très probablement, comme ce fut toujours le cas par le passé, le coronavirus mutera, encore et encore. 
Le vent mauvais pourrait donc finir par tourner et la mauvaise pioche de 2019 pourrait très bien ne pas durer et laisser la place à un nouveau modèle de coronavirus beaucoup moins méchant. Puissions-nous un jour dire : le SARS-CoV 2019 est mort, vive le SARS-CoV 2020 ou 2021...

Une crainte subsistera

Si l’on espère une accalmie de la météo virologique au cours de l’été prochain dans notre pays, il faut garder à l’esprit que le SARS-CoV-2 aura contaminé un très grand nombre d’individus. De fait, il s’est d’ores et déjà exporté dans les pays de l’hémisphère sud. Si aucune solution n’est trouvée dans les mois qui viennent, une propagation du SARS-CoV-2 peut être redoutée dans les pays du sud au cours de l’hiver austral. Nous pourrions alors connaitre un effet boomerang, du sud vers le nord, à l’automne prochain. Il ne faudra donc pas baisser la garde et l’été prochain dans notre pays pourrait ouvrir une fenêtre propice au lancement d’une grande campagne d’information et de formation et ainsi combler nos retards et déficits en termes d’éducation et de prévention auprès de l’ensemble des citoyens, en plus des grands plans pandémie déjà opérationnels à l’hôpital. Si ça ne sert pas pour la Covid-19, ça pourra toujours servir pour d’autres menaces de pandémie qui risquent de se répéter dans le futur...


1 - Yang X, Yu Y, Xu J, Shu H, Xia J, Liu H, Wu Y, Zhang L, Yu Z, Fang M, Yu T, Wang Y, Pan S, Zou X, Yuan S, Shang Y. Clinical course and outcomes of critically ill patients with SARS-CoV-2 pneumonia in Wuhan, China : a single-centered, retrospective, observational study. Lancet Respir Med. 2020 Feb 24:S2213- 2600(20)30079-5. doi : 10.1016/S2213-2600(20)30079-5. Epub ahead of print. Erratum in : Lancet Respir Med. 2020 Feb 28 ; : PMID : 32105632.
2 - Wu Z, McGoogan JM. Characteristics of and Important Lessons From the Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Outbreak in China : Summary of a Report of 72 314 Cases From the Chinese Center for Disease Control and Prevention. JAMA. 2020 Feb 24:10.1001/jama.2020.2648. doi : 10.1001/jama.2020.2648. Epub ahead of print. PMID : 32091533.
3 - Guan WJ, Ni ZY, Hu Y, Liang WH, Ou CQ, He JX, Liu L, Shan H, Lei CL, Hui DSC, Du B, Li LJ, Zeng G, Yuen KY, Chen RC, Tang CL, Wang T, Chen PY, Xiang J, Li SY, Wang JL, Liang ZJ, Peng YX, Wei L, Liu Y, Hu YH, Peng P, Wang JM, Liu JY, Chen Z, Li G, Zheng ZJ, Qiu SQ, Luo J, Ye CJ, Zhu SY, Zhong NS ; China Medical Treatment Expert Group for Covid-19. Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China. N Engl J Med. 2020 Feb 28:10.1056/NEJMoa2002032. doi : 10.1056/NEJMoa2002032. Epub ahead of print. PMID : 32109013.
4 – Organisation Mondiale de la Santé - https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel- coronavirus-2019/advice-for-public/q-a-coronaviruses
5 – Boston University Medical Campus - https://www.bumc.bu.edu/2020/02/29/a-covid-19-primer- for-the-boston-university-community/
6 - Rocklöv J, Sjödin H, Wilder-Smith A. COVID-19 outbreak on the Diamond Princess cruise ship : estimating the epidemic potential and effectiveness of public health countermeasures. J Travel Med. 2020 Feb 28:taaa030. doi : 10.1093/jtm/taaa030. Epub ahead of print. PMID : 32109273.
7 - Brooks SK, Webster RK, Smith LE, Woodland L, Wessely S, Greenberg N, Rubin GJ. The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. Lancet. 2020 Feb 26:S0140- 6736(20)30460-8. doi : 10.1016/S0140-6736(20)30460-8. Epub ahead of print. PMID : 32112714. 6 - Rocklöv J, Sjödin H, Wilder-Smith A. COVID-19 outbreak on the Diamond Princess cruise ship : estimating the epidemic potential and effectiveness of public health countermeasures. J Travel Med. 2020 Feb 28:taaa030. doi : 10.1093/jtm/taaa030. Epub ahead of print. PMID : 32109273. 7 - Brooks SK, Webster RK, Smith LE, Woodland L, Wessely S, Greenberg N, Rubin GJ. The psychological impact of quarantine and how to reduce it : rapid review of the evidence. Lancet. 2020 Feb 26:S0140- 6736(20)30460-8. doi : 10.1016/S0140-6736(20)30460-8. Epub ahead of print. PMID : 32112714.

Laurent Lagrost a dirigé le centre de recherche UMR1231 de l’Inserm et de l’Université de Bourgogne à Dijon et a coordonné le Laboratoire d’Excellence LipSTIC. Didier Payen est Professeur Emerite à l ’Université Paris 7 et Professeur d’Anesthésie-Réanimation.

Source : lequotidiendumedecin.fr
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