Depuis vingt ans, des rapports ont anticipé la pandémie de Covid-19. Tous les gouvernements les ont ignorés, privilégiant les urgences du moment. Un scénario qui se répète déjà avec la prochaine catastrophe annoncée : le réchauffement climatique
Le 18 mars dernier, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer prend la plume pour expliquer sur Twitter que « le risque d’une pandémie avait bien été anticipé, parfois très précisément, par les prospectivistes des 15 dernières années ». Et le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) de citer des documents issus de diverses structures de la défense américaine ou française, avant d’enfoncer le clou : « Le risque pandémique n’est pas un impensé de la prospective stratégique mais au contraire une constante. »
Gouverner, c’est prévoir. Emmanuel Macron, Donald Trump et les autres dirigeants de ce monde avaient-ils les moyens de mieux appréhender la pandémie, de mieux se préparer à ses conséquences tragiques ?
À partir de l’énumération du directeur de l’Irsem, Mediapart s’est plongé dans ces documents de prospective stratégique qui pointaient le risque d’une pandémie. Nous avons élargi le spectre de nos recherches à des notes et rapports signés d’experts français de la santé. Au total, une quinzaine de documents issus de structures étatiques ou d’organisations internationales qui avaient décrit ce qui nous arrive aujourd’hui.
L’analyse prospective – l’art d’« évaluer l’incertitude », comme la définissait l’ancien patron de la DGSE Bernard Bajolet – a échoué à prévoir les grandes ruptures stratégiques de la fin du XXe siècle et du début des années 2000 (de la chute du mur de Berlin aux attentats du 11-Septembre, en passant par les Printemps arabes), ce qui invite donc à la prudence. En revanche, le risque d’une pandémie mondiale a bel et bien été réfléchi et documenté depuis 2003, date à laquelle l’Asie est touchée par le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère).
Cette réflexion s’est poursuivie… jusqu’à l’automne 2019, quelques semaines avant l’apparition du Covid-19. Dans le numéro paru en mai du magazine DSI, Alexandre Sheldon-Duplaix, chercheur au Service historique de la défense, raconte qu’en septembre dernier, l’US Naval War College, l’école de guerre navale américaine, parrainait un jeu de guerre ayant pour thème une maladie infectieuse qui se propage rapidement en milieu urbain. Et, comme l’a raconté Politico, des experts du think tank américain CSIS faisaient un exercice simulant une pandémie causée par l’émergence d’un nouveau coronavirus…
L’exemple le plus connu (et le plus précis sur les événements à venir) est celui des rapports du National Intelligence Council (NIC, le centre d’analyse prospective de la CIA) qui, en 2004, 2008 et 2017, tiraient la sonnette d’alarme. On peut y lire que, d’ici 2025, « l’émergence d’une nouvelle maladie respiratoire humaine hautement contagieuse et virulente pour laquelle il n’existe pas [de traitement] pourrait déclencher une pandémie mondiale ».
En novembre 2015, la Revue stratégique de défense et de sécurité du Royaume-Uni estime que dans « les cinq prochaines années », « les maladies, en particulier la grippe pandémique », perturberont les services publics et l’économie. « Une telle épidémie pourrait potentiellement causer des centaines de milliers de morts et coûter au Royaume-Uni des dizaines de milliards de livres », précisera trois ans plus tard le Plan de stratégie de sécurité biologique mis en place par les Britanniques.
Les Français ne sont pas en reste. En 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ce document recensant les risques et menaces pouvant affecter la sécurité du pays, évoque le risque sanitaire lié à une pandémie. Celui-ci figure même en bonne place (après les attentats terroristes et les cyberattaques) dans la hiérarchie des menaces pesant sur la France. « Sur les quinze années à venir », l’apparition d’« une pandémie massive à forte létalité » est « plausible », peut-on lire sous la plume des analystes français, qui considèrent la probabilité que cela survienne comme « moyenne » et l’ampleur qu’elle pourrait prendre comme « moyenne à sévère ». En 2013, le nouveau Livre blanc reprend l’idée d’une « nouvelle pandémie hautement pathogène et à forte létalité ».
Les analystes des autres branches de l’État partageaient les prédictions des experts de la Défense. Le 22 janvier 2007, le Centre d’analyse stratégique (chargé de conseiller le gouvernement sur ses orientations en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle) produisait une note consacrée aux « défis posés par les maladies infectieuses émergentes » pour signaler « la menace d’une pandémie grippale », « massive », « dans des populations non immunisées ». En décembre 2009, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm, à ne pas confondre avec l’Irsem évoqué plus haut) mettait en garde contre « la réémergence de maladies infectieuses », considérée jusque-là comme « en voie de résolution » mais redevenue « croissante et peu prévisible ».
Même des acteurs privés avaient alerté. L’exemple du milliardaire Bill Gates a été rappelé (ici dans un article d’Usbek et Rica). Lors d’une conférence donnée en 2015, après que l’épidémie Ebola eut endeuillé l’Afrique de l’Ouest, le fondateur de Microsoft expliquait que « si quelque chose tu[ait] plus de 10 millions de gens dans les prochaines décennies, ça ser[ait] probablement un virus hautement contagieux plutôt qu’une guerre. Pas des missiles, mais des microbes ».
Des propos qu’il réitère en 2017 : « Une chose est à peu près certaine : une pandémie mondiale fortement mortelle arrivera durant notre vie », déclare-t-il à la tribune de la Conférence sur la sécurité de Munich (le rendez-vous annuel de la diplomatie mondiale), conseillant de se préparer à une épidémie « comme les militaires se préparent à la guerre ».
La pandémie qui vient
Ces différentes études et prises de position ne se sont pas contentées d’annoncer la catastrophe qui venait, elles l’ont détaillée avec une précision qui, rétrospectivement, fait froid dans le dos.
En 2008, le National Intelligence Council américain détermine parmi les « candidats probables » provoquant l’émergence d’une maladie pandémique « le coronavirus ». Cette pandémie, estiment les experts consultés par la CIA, « se produira probablement d’abord dans une zone caractérisée par une forte densité de population et une proximité entre les humains et les animaux, comme de nombreuses régions de Chine et d’Asie du Sud-Est ».
La Chine, là où serait né le virus du SARS-CoV-2… Mi-janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé indiquera que « les preuves suggèrent fortement que l’épidémie est associée à des expositions [entre humain et animal] sur un marché de fruits de mer à Wuhan ». Le mois dernier, plusieurs médias américains ont rapporté, comme l’a détaillé CheckNews, que les services de renseignement américains « considèrent la possibilité » que le coronavirus ait pu s’échapper d’un laboratoire chinois, l’Institut de virologie de Wuhan.
Si la question de l’origine du virus est toujours ouverte (et même si « le réservoir le plus probable serait une espèce de chauve-souris », lire notre entretien), les hypothèses posées avaient été évoquées par différentes analyses gouvernementales depuis une dizaine d’années. Par exemple, le Livre blanc français, qui avait décrit en 2013 « un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou […] échappé d’un laboratoire de confinement ».
Tous les documents consultés font de la mondialisation des échanges un accélérateur de la propagation du virus. « Aujourd’hui, le potentiel de diffusion à l’échelle de la planète de certaines épidémies, conjugué avec la globalisation médiatique, m[et] les épidémies lointaines à notre porte », constatait déjà en 2007 la note du Centre d’analyse stratégique.
Les analystes de la CIA pronostiquaient même que les premières restrictions aux voyages internationaux ne parviendraient pas à freiner la diffusion du virus, car « les voyageurs présentant des symptômes bénins ou asymptomatiques pouvaient transporter la maladie sur d’autres continents ».
Autre souci pointé par les experts américains : le partage d’informations de la part des autorités du pays d’origine du virus. « Des semaines pourraient s’écouler avant que les laboratoires fournissent des résultats définitifs confirmant l’existence d’une maladie risquant de muter en pandémie », se désolent-ils avec prémonition. Lorsque le Covid-19 est apparu, les autorités chinoises ont tenté de dissimuler les premières alertes des médecins. Le premier d’entre eux à prévenir du danger de ce coronavirus a été arrêté.
Une fois touchés, les différents pays auraient des difficultés à appliquer un strict confinement, en raison « de la densification des flux », prévient en 2017 la Revue stratégique de défense et de sécurité française. Cette même année et toujours en France, la troisième édition du rapport Horizons stratégiques du ministère des armées s’inquiète de ce que d’ici à 2040 les maladies liées à la dégradation de l’environnement auront des impacts « considérables et inégalement répartis, au détriment des populations les plus fragiles ».
Au-delà de ce risque sanitaire, le Livre blanc de 2008 craint qu’« une telle crise », « par son ampleur, sa durée », ne compromette « le fonctionnement normal de la vie nationale et des institutions ». Dans la troisième édition de l’ouvrage collectif Disease Control Priorities : Improving Health and Reducing Poverty (International Bank for Reconstruction and Development / The World Bank, 2018), les auteurs s’inquiètent « des changements de comportement individuels, tels que l’aversion provoquée par la peur pour les lieux de travail et autres lieux de rassemblement publics », qui pourraient devenir « la principale cause des chocs négatifs sur la croissance économique ».
En 2017, le National Intelligence Council américain élabore un scénario dans lequel « la pandémie mondiale [située en 2023 – ndlr] a considérablement réduit les voyages dans le monde afin de contenir la propagation de la maladie, contribuant au ralentissement du commerce mondial et à une baisse de la productivité », et prévoit un repli protectionniste des États.
Le problème étant identifié, les prospectivistes ont ébauché les solutions pour y répondre. Première recommandation : agir ensemble. « Une action large, convergente et coordonnée de la part de tous les États » serait, considère le Livre blanc de 2008, « la mieux à même d’apporter une réponse complète » pour lutter contre les pandémies.
Tous les analystes insistent sur l’importance de la communication à l’intérieur de chaque État, « la sensibilisation précoce de la population ». Les auteurs de Disease Control Priorities : Improving Health and Reducing Poverty » rappellent que « la diffusion d’informations de base (telles que la façon dont l’agent pathogène est transmis, des conseils sur la gestion des soins aux patients, les pratiques à haut risque et les mesures de comportement protectrices) peut rapidement et considérablement réduire la transmission de la maladie ».
Des conseils qui résonnent en France quand on songe à la communication gouvernementale qui, en mars, insistait sur l’absence de nécessité à porter un masque pour mieux cacher sa pénurie (révélée par Mediapart). Pourtant, parmi « les défis posés par les maladies infectieuses émergentes », figurait dès 2007 « la confusion des messages ». « Le déni, le défaut de transparence ne sont plus possibles, ou du moins deviennent plus périlleux pour les autorités », avait mis en garde le Centre d’analyse stratégique rattaché à Matignon.
À propos des masques qui ont tant manqué, Santé publique France avait rendu en mai 2019 un avis relatif « à la stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales face à une pandémie ». Les experts estimaient alors – c’était il y a pile un an – « le besoin en masques » à « une boîte de 50 masques par foyer, à raison de 20 millions de boîtes en cas d’atteinte de 30 % de la population ». Ils prenaient garde d’alerter qu’un stock peut arriver à péremption mais que « cela ne remet pas en cause la nécessité d’une préparation au risque », et préconisaient en conséquence de renouveler le stock « pour éviter d’atteindre la date de péremption des masques ».
« L’urgent l’emporte toujours sur l’important »
Sollicités par Mediapart, différents analystes français ayant participé, de près ou de loin, à la rédaction de ces documents relativisent leurs mérites : une crise provoquée par une pandémie n’était pas sorcier à anticiper, selon eux. Les militaires et les services de renseignement étaient tout particulièrement sensibilisés aux risques NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) depuis que la secte Aum avait commis un attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995 et que de l’anthrax avait été introduit dans plusieurs lettres adressées à des médias et des hommes politiques aux États-Unis à l’automne 2001.
Surtout, le monde avait été frappé par une succession d’épidémies lors des deux dernières décennies : le SRAS en 2003, la grippe H1N1 en 2009 et Ebola en 2013-2014. À telle enseigne qu’en 2015, la Revue stratégique de défense et de sécurité du Royaume-Uni assure avoir « tiré les leçons » de ces précédents. « Nous avons mis en place des plans détaillés, robustes et complets, [ainsi qu’une] capacité nécessaire pour faire face aux maladies infectieuses, y compris la grippe pandémique et les maladies respiratoires », assurent les analystes britanniques.
Et pourtant, le député européen (LR) Arnaud Danjean, qui a présidé, en 2017, le comité de rédaction de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, relève que « les trois pays ayant produit une analyse prospective de qualité à propos des risques d’une pandémie, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, figurent parmi les pays où on dénombre le plus de décès dus au Covid-19 [respectivement 1er, 2e et 4e en nombre de morts – ndlr]. Cela veut bien dire qu’il y a un problème ».
Alors si la pandémie a été très précisément anticipée depuis près de 20 ans, pourquoi les gouvernements se trouvent-ils désemparés, inorganisés ?
Il existe des raisons propres au sujet même. « Les dirigeants, souvent, ne prennent pas le risque sanitaire majeur au sérieux », résume Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. Lors d’une de ses conférences précitées, Bill Gates avait mis en garde contre ce biais : « On a investi énormément dans la dissuasion nucléaire, mais on a très peu investi dans un système pour arrêter les épidémies… »
Par ailleurs, sur ce sujet, la France a été peu touchée ces dernières années, contrairement aux pays asiatiques. Paul Charon, responsable du programme « Renseignement et anticipation » à l’Irsem, constate que lorsque les premiers cas de Covid-19 ont été recensés en Chine, il y a eu « une forme de déni en Europe, nous nous pensions à l’abri ». « Nous avons été extrêmement lents à réagir, poursuit-il, et ce alors que certains avaient essayé de faire remonter des informations depuis la Chine. Cela est dû sans conteste au manque de transparence des autorités chinoises, mais nous avons également souffert de notre condescendance et d’une incapacité à voir le danger quand il est à notre porte. »
Revient comme explication dans toutes les conversations avec les différents analystes interrogés « le syndrome Bachelot ». Lors de l’épidémie de la grippe H1N1 en 2009, la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, avait commandé 94 millions de vaccins, pour un coût de plus de 600 millions d’euros. Ce qui se révéla largement trop par rapport à la réalité de la contagion et lui fut durement reproché. « Ce précédent ayant donné le sentiment qu’on avait surréagi a conduit les actuels dirigeants à une certaine prudence », constate Bruno Tertrais.
Pour autant, le politologue appelle à la pondération avant de condamner l’action publique lors de l’actuelle pandémie. « Aucun gouvernement occidental n’aurait pu être préparé à gérer un choc aussi violent ayant des conséquences sanitaires mais également économiques et sociétales aussi fortes. »
En décembre 2009, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) mettait en garde contre "la réémergence de maladies infectieuses". © DR
En décembre 2009, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) mettait en garde contre "la réémergence de maladies infectieuses". © DR
Paul Charon opère une distinction entre l’analyse stratégique et « sa déclinaison tactique ». « C’est assez logique, à la lecture des évolutions de la planète, d’identifier de potentielles catastrophes, mais si on ne développe pas de moyens à décliner pour limiter ses effets, on sera démunis lorsque la crise surviendra, détaille-t-il. L’échec dans cette pandémie ne réside pas dans son anticipation mais dans l’incapacité de transformer le renseignement en politiques publiques. » Bruno Tertrais, qui a participé à l’élaboration des deux derniers Livres blancs de défense, abonde : « Il y a souvent un problème de passage de témoin entre la prospective et la politique. »
À entendre un spécialiste de la gestion de crise ayant participé à la réponse de l’État lors de la pandémie de Covid-19, il y aurait tout de même « un échec de l’anticipation ». « Ce type de scénarios [ceux prévus dans les analyses prospectives – ndlr], cela n’a de valeur que si le groupe d’experts s’engage sur un pourcentage de probabilité et sur une échelle de temps, afin que le politique détermine quelle catastrophe il doit privilégier. »
Et, pour mettre en place d’éventuelles politiques publiques, on en revient au nerf de la guerre. « Il est par essence difficile de consacrer des efforts financiers importants à la prévention de scénarios incertains, explique Bruno Tertrais. Dans la plupart des pays, l’urgent l’emporte toujours sur l’important. Dire ‘‘il n’est pas exclu que’’, cela ne suffit pas. »
Un ancien membre de cabinet du chef d’état-major des armées résume avec ironie : « La première partie d’un Livre blanc montre comment le monde devient de plus en plus dangereux, la seconde explique pourquoi il faut réduire les dépenses… Se préparer à un événement de faible probabilité mais aux conséquences très importantes, cela revient à avoir un actif inutilisé, le genre de chose qui fait horreur à un comptable. Les pouvoirs publics se révèlent incapables d’avoir une vision à long terme. Ils n’agissent qu’en réaction. Si on est lucides, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly [les tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher – ndlr] ont eu plus d’influence sur la politique de défense que tout ce qu’on a pu écrire depuis vingt ans. Dans les jours qui ont suivi leurs attentats, le budget des armées a été révisé et augmenté… »
Prochain échec : le réchauffement climatique
Ayant participé à l’élaboration d’un Livre blanc, un officier de renseignement ayant requis l’anonymat se souvient de « la grande liberté de ton » régnant dans les groupes de travail. Puis, « plus on progresse dans l’élaboration du document, plus cela devient politique. Des blocages surviennent. Des gens ne croient pas que la catastrophe puisse arriver », se souvient-il.
« Il y a un jeu de relecture », confirme un ancien membre de cabinet ministériel qui se souvient des 145 versions revues et corrigées nécessaires entre la version initiale et celle qui sera rendue publique. Pour aboutir à un document fleuve (le Livre blanc de 2008 compte plus de 400 pages) qui ressemble à un inventaire à la Prévert.
« Chacun des experts consultés arrive avec son obsession qui correspond à son champ de recherches, développe l’ex-membre de cabinet ministériel. Par exemple, si untel est obnubilé par le bioterrorisme, il y aura un paragraphe sur cette menace. Et puis il y a les passages obligés : si on ne fait pas mention d’un risque de conflit entre grandes puissances, cela veut dire que la dissuasion nucléaire ne sert plus à rien… Alors on essaye de faire rentrer un maximum de choses. »
Et ces rapports denses et souvent clairvoyants de finir au fond d’un tiroir. « Nous avons vraiment l’impression que les présidents de la République, les responsables qui nous commandent ces documents, ne nous lisent pas, se désole Arnaud Danjean. Ils ne retiennent que ce qui va dans le sens de leurs convictions, de ce qui figurait déjà dans leur programme. Ces exercices s’avèrent un peu vains… »
L’ancien membre de cabinet ministériel confirme : « Les ministres sont abreuvés par un paquet de parapheurs, de notes, le Livre blanc leur arrive tamisé par différents filtres. D’abord, c’est un résumé de cinq pages, qu’ils ne lisent pas. À la fin, nous adressions à notre ministre les 10 points qui nous semblaient clés. Et, pendant longtemps, la pandémie n’en faisait clairement pas partie. Parfois, on essayait de réintroduire deux points nouveaux dans une nouvelle note. Mais, il y avait de la déperdition. »
Il ne s’agit pas d’exonérer les politiques. « Là où ils sont responsables : c’est quand le Covid-19 frappe la Chine en janvier, ils auraient dû ressortir la littérature sur le sujet [les Livres blancs, etc. – ndlr] pour se préparer », estime le spécialiste de la gestion de crise… ayant participé à la réponse de l’État lors de la pandémie de Covid-19.
L’État saura-t-il tirer les conséquences de son impréparation ? Mieux utiliser les analyses déjà à sa disposition ?
Selon Bruno Tertrais, « nous allons probablement beaucoup mieux nous préparer à la prochaine pandémie, en revanche nous ne serons pas forcément mieux préparés au prochain événement prévisible mais improbable ».
L’officier de renseignement précité s’avoue fataliste : « Dans notre monde de l’immédiat, si vous annoncez une catastrophe, il faut qu’elle arrive tout de suite. Sinon vous restez inaudible. C’est ce qui est en train de se passer avec le climat. »
Une prédiction partagée par Paul Charon. « Pas besoin d’être grand clerc pour constater le réchauffement climatique. Tout le monde sait ce qui va se passer mais les conséquences sont trop lointaines, alors on n’agit pas… »
Article de Matthieu SucSource : mediapart.fr
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