Le coût de l’application de suivi de contacts, désormais supportée par l’État, pose question, une semaine après son lancement
Où en est StopCovid, l’application française de suivi des cas contacts, une semaine après son arrivée sur les magasins de Google et d’Apple ?
Censée identifier les personnes côtoyées par le détenteur d’un smartphone - sur lequel elle aura été préalablement téléchargée – afin de les notifier si ce dernier s’avère malade du Covid-19, elle a été l’objet de polémiques, notamment sur sa capacité à être largement adoptée par les Français.
En une semaine, 1,4 million d’activations ont été dénombrées, précisait au Monde, mardi 9 juin, le cabinet de Cédric O, le secrétaire d’Etat chargé du numérique. Ce chiffre, qui représente environ 2 % de la population française, correspond au nombre de fois où les utilisateurs ont téléchargé StopCovid, ouvert l’application, puis ont cliqué sur le bouton « J’active StopCovid » après l’avoir autorisé à utiliser le Bluetooth du smartphone – la technologie qui sert à enregistrer les téléphones à proximité.
Une campagne de communication bientôt lancée
Ce chiffre a de quoi décevoir : à titre de comparaison, l’application de suivi de cas contacts australienne avait été téléchargée par 8 % de la population en vingt-quatre heures. Son équivalent norvégien avait, lui, été activé en une semaine par plus d’un quart de la population, selon les chiffres publiés quotidiennement par l’institut de santé publique du pays. Même si les scientifiques estiment qu’une telle application peut avoir une utilité dès les premiers téléchargements, il faudrait à StopCovid un taux d’adoption bien supérieur pour que celle-ci soit tangible.
Au secrétariat d’État, on ne veut tirer aucune conclusion sur le succès ou non de StopCovid à ce stade. Mais plusieurs explications sont avancées : le fait que certains Français estiment imminente la fin de l’épidémie, alors que le déconfinement s’accentue ; une volonté de protéger leurs données personnelles ; ou encore la campagne de communication prévue par le gouvernement qui n’a pas été complètement lancée.
Cette dernière, qui démarre tout juste, ciblera « les lieux à forte densité dans les transports en commun », fait-on savoir au cabinet de Cédric O. Elle comportera notamment des panneaux numériques dans les transports en commun, des spots diffusés à la radio et des publicités sur les réseaux sociaux.
350.000 utilisateurs actifs évoqués par des chercheurs
Si le nombre d’activations est central, un autre chiffre est crucial pour jauger de l’efficacité de StopCovid : celui du nombre d’utilisateurs actifs, c’est-à-dire d’applications qui, quotidiennement, sont actives et peuvent enregistrer les contacts rapprochés.
Un utilisateur peut en effet désactiver l’application, qui peut aussi être mise en sommeil si elle n’est pas ouverte régulièrement, en particulier sur les iPhone. Le secrétariat d’Etat au numérique ne dispose pas de cette donnée pour le moment. Contacté, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), qui a piloté le projet, renvoie vers le secrétariat d’Etat.
Plusieurs experts indépendants sont cependant parvenus à une estimation de ce nombre. Ils ont profité du fait que, lorsqu’elle est activée, StopCovid dialogue régulièrement avec plusieurs serveurs centraux. Ces chiffres, accessibles dans un premier temps librement, ont ainsi permis de déterminer le nombre d’applications dialoguant, chaque minute, avec le serveur. La valeur obtenue, qui varie selon les calculs effectués, plaçait en fin de semaine dernière le nombre d’utilisateurs actifs aux alentours de 350.000, selon trois experts ayant réalisé ces calculs et interrogés par Le Monde.
Après que ces derniers ont publié le résultat de leurs recherches sur Twitter, l’outil a été reconfiguré de manière à ce qu’il ne renvoie plus d’informations de cette nature. Ces 350.000 représentent environ 0,5 % de la population française : à titre de comparaison, environ 11 % des Norvégiens utilisent activement l’application nationale de suivi de contacts, lancée trois semaines avant son homologue française.
Ces premiers chiffres de StopCovid sont très modestes, mais il est encore un peu tôt pour en tirer des conclusions sur son efficacité. Tout d’abord parce que certaines zones peuvent avoir un taux d’adoption supérieur à la moyenne. Des sondages vont être entrepris pour jauger l’adoption de StopCovid dans certaines zones urbaines denses, là où le gouvernement espère que l’application aura le plus de succès et sera, promiscuité oblige, la plus efficace.
Ensuite, car certaines données cruciales manquent : le nombre de notifications envoyées par l’application, le nombre de tests effectués à la suite de ces alertes et la proportion, dans ces tests, de résultats positifs ou négatifs. Le secrétariat d’Etat renvoie, pour les questions d’ordre sanitaire, à la direction générale de la santé (DGS), laquelle n’a pas donné suite à nos sollicitations.
La question de l’efficacité n’est pas anodine : la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le gendarme des données personnelles, a expliqué dans ses deux avis concernant StopCovid que la légalité du dispositif dépendait, notamment, de ce critère. La loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire a créé un « comité de contrôle et de liaison Covid-19 ». Composé d’experts de la santé et de quatre parlementaires, il doit justement se pencher sur « l’apport réel des outils numériques » contre la crise sanitaire.
100.000 euros par mois, selon Bercy
Avec la mise à disposition de l’application se pose également une nouvelle question : celle de son coût pour l’Etat. Jusqu’à son lancement, ce dernier n’a rien eu à débourser directement pour StopCovid. Cette dernière a été développée à la fois par des fonctionnaires et des salariés d’organismes publics mais aussi par des entreprises privées travaillant bénévolement.
Désormais, les entreprises vont être rémunérées. Au cabinet de Cédric O, on estime aujourd’hui le coût mensuel à environ 100 000 euros, prélevés sur le budget de l’Etat. « Il n’y a donc pas d’enjeu de coût financier. D’abord, parce que la santé n’a pas de prix. Ensuite, parce que ce montant est epsilonesque par rapport aux coûts et aux effets délétères évités d’une admission en réanimation par exemple », avait déclaré Cédric O le 27 mai à L’Obs.
Il s’agit principalement, explique-t-on à Bercy, des frais de gestion et d’entretien du serveur sécurisé, confié à 3DS Outscale, filiale du groupe Dassault spécialisée dans l’hébergement sécurisé. Le chiffre est pourtant plutôt élevé par rapport à ceux du marché. Sollicité, 3DS Outscale n’a pas souhaité répondre à nos questions. Cap Gemini, qui a participé au développement de l’application et devrait continuer ses travaux, non plus.
Le cadre légal définitif encadrant le futur, notamment financier, de StopCovid n’est en fait pas encore totalement fixé. Il devrait l’être dans les prochains jours : une convention va être signée entre l’Inria et la DGS, qui est le gestionnaire légal de StopCovid.
En attendant, L’Obs a révélé mercredi que l’association de lutte contre la corruption Anticor a signalé la situation au parquet de Paris, craignant « un risque de surfacturation » en l’absence de marché public. « L’application Stop Covid, qui a été développée gratuitement, coûte en revanche plus de 200.000 euros d’hébergement. Un prix très supérieur aux pratiques du marché. Anticor a saisi le Parquet national financier », annonce l’association sur Twitter - se fondant sur des estimations de coût publiés dans L’Obs, évoquant des sommes allant de 200.000 euros à 300.000 euros par mois.
Source : lemonde.fr
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