L’équipe de cet hôpital parisien a testée une molécule qui éteint l’orage inflammatoire de la maladie
Hôpital flambant neuf niché au cœur du XIVème arrondissement, « village de santé » bâti autour d’un verger, Saint-Joseph n’avait pas vocation à se retrouver au sommet de l’affiche. Ses médecins peuvent se targuer aujourd’hui de s’être illustrés par leur esprit d’équipe.
Lorsqu’ils se retrouvent pris dans la crise Covid-19, tous cherchent ensemble une solution. « Quand vous avez devant vous quelqu’un qui suffoque, vous vous rendez bien compte que le traitement ne suffit pas », constate le docteur Gilles Hayem. Professionnel discret et précis, le chef de service de rhumatologie réfléchit avec son assistant, Thomas Huet, 32 ans, un jeune médecin dont il a dirigé la thèse.
Les deux rhumatologues se retrouvent autour d’un café pour dresser le bilan des «raisonnements analogiques » déroulés jour et nuit dans leurs cerveaux en ébullition. « Cette maladie ressemble à quelque chose qu’on connaît », dit Thomas Huet. Une protéine attire leur attention : l’interleukine 1 (IL-1), dont la prolifération provoque l’orage immunitaire.
Pour la neutraliser, des chercheurs américains ont développé l’anakinra, une molécule biologique qui a donné naissance au Kineret, un médicament distribué par le laboratoire suédois Swedish Orphan Biovitrum (Sobi). Plus ils en parlent, plus ils sont convaincus que ce médicament, prescrit pour diverses maladies orphelines, est le traitement qu’il faut.
Le 16 mars, une réunion de crise se tient dans le réfectoire. Gilles Hayem se lève et soumet sa proposition ; l’assistance est hésitante. Certains se demandent pourquoi adopter un traitement pour lequel il n’existe aucune donnée. « Quand on n’a rien et qu’on ne fait rien, on n’avance pas ! » ironise Thomas Huet dans une tirade à la Michel Audiard.
Les deux rhumatologues font alors la tournée des services pour vanter les mérites de leur médicament, largement ignoré par les autres. Une figure de l’établissement, le chef de service de médecine interne, Jean-Jacques Mourad, se montre très enthousiaste. « En plus, remarque-t- il, Kineret veut dire “lac de Tibériade” en hébreu ! » Reste à convaincre la direction.
Jean-Patrick Lajonchère a pour habitude de soutenir ses troupes tant qu’elles jouent collectif. Ce n’est pas pour rien qu’il a exposé, dans son bureau, un ballon de rugby signé par Jonah Lomu. La star des All Blacks était venue à l’hôpital Saint-Louis – qu’il dirigeait alors – faire la promotion de la greffe du foie. « Il m’a demandé quoi écrire. “Team spirit”, lui ai-je dit. » Le directeur général du groupe Saint-Joseph évolue comme un demi de mêlée : il assure la fluidité du jeu. Décrit par ses équipes comme un homme à l’esprit clair, il aime les réponses rapides et fait confiance à ses médecins. Cet établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic) jouit d’un statut hybride qui stimule l’innovation. « Ça permet d’avoir des projets et de supporter la difficulté du quotidien, dit Lajonchère. Et puis on n’est pas un grand hôpital si l’on ne fait pas de recherche de haut niveau. » En pleine crise Covid-19, la proposition de Gilles Hayem est la plus pertinente : banco !
Miraculée parmi d’autres, Marie-Pierre Brochériou, 93 ans, fait partie des heureux rescapés du Covid-19 ayant transité par Saint-Joseph
Dès le 24 mars, les malades les plus durement touchés sont pris en charge avec le traitement. « Au bout de trois ou quatre jours, se rappelle Thomas Huet, le ressenti clinique s’est manifesté de manière très visible. Les patients restaient stables ou s’amélioraient. »
Tandis que la France prend de plein fouet le pic de la pandémie, la machine à tuer accuse un coup de frein à l’hôpital Saint-Joseph. Même les malades les plus âgés repartent sur leurs pieds comme Marie-Pierre Brochériou, une ancienne prof de lettres. Le jour où son système immunitaire s’est emballé, ses besoins en oxygène ont grimpé au débit très élevé de 15 litres par minute. Les soignants perdaient espoir. A 93 ans, ses chances d’en sortir étaient quasi nulles. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un mauvais souvenir. « Les nuits étaient un peu longues, dit-elle avec un grand sourire. Mais la journée, j’allais voir Claude dans la chambre à côté. J’avais des tubes dans le nez, je les enlevais pour parler. » Miraculée parmi d’autres, Marie-Pierre Brochériou fait partie des heureux rescapés du Covid-19 ayant transité par Saint-Joseph. Pour les cliniciens, l’efficacité de l’anakinra ne fait aucun doute. Jean-Jacques Mourad évoque « un changement radical du visage de la maladie ».
Bluffés par les résultats, les médecins de Saint-Joseph activent leurs réseaux
Cette réalité se lit aussi dans les données recrachées par les machines qui, comme la chaîne Abbott, intègrent les analyses sanguines des patients. Thomas Huet passe des nuits blanches à les compiler. Une fois ses tableurs remplis, il les envoie par e-mail à Gilles Chatellier. Ce statisticien de haut vol, qui exerce au Centre d’investigation clinique de l’hôpital Georges-Pompidou, officie à l’unité de recherche de Saint-Joseph. Après avoir lu les premiers résultats, il les retourne à l’expéditeur avec la mention : « Attention. » Le professeur n’y croit pas une seconde, il doit y avoir une erreur. « Ça m’a beaucoup stressé », confie le jeune médecin. Après des journées de vérifications, la conclusion tombe comme un couperet : tout est bon. « On est mal, soupire Gilles Chatellier. Très mal. »
En défenseur de l’Evidence Based Medicine, une pratique qui prône l’utilisation rigoureuse des données pour administrer les soins, il juge bien excessif l’écart entre les deux groupes observés : « L’effet est trop fort. » L’étude publiée dans « The Lancet », le 29 mai, établira que, parmi les 52 patients victimes de la forme sévère du Covid traités par l’anakinra entre le 24 mars et le 6 avril, 75 % en sont sortis indemnes. Pour la même durée de traitement, le taux s’est limité à 27 % dans le groupe contrôle qui rassemblait 44 patients admis avant le 24 mars.
Bluffés par les résultats, les médecins de Saint-Joseph activent leurs réseaux. Il faut prévenir le ministre, l’Elysée, et constituer des stocks de produit. Gilles Hayem remue ciel et terre, mais ça n’avance pas. Le 17 avril, rendez-vous est pris dans la banlieue de Paris, à Vanves, avec un émissaire qui a ses entrées au Palais. A travers la fenêtre baissée de la voiture de son messager, Gilles Hayem passe le dossier cacheté sous enveloppe kraft. En vingt-quatre heures, le pli franchit tous les filtres et atterrit sur le bureau du président Macron. Ce dernier le signale à son Comité analyses, recherche et expertise (Care), qui regroupe 12 chercheurs et médecins, pour passer au crible les protocoles de soin pendant la crise du Covid-19. Le conseil scientifique organise une audioconférence avec Hayem. Il a dix minutes. Le rhumatologue s’exprime devant des experts armés de prudence. Il s’entend répondre que son étude ne peut être considérée comme « un essai clinique » car elle n’est pas « randomisée ». Il aurait fallu confronter deux groupes distincts, deux traitements délivrés au hasard au même moment. C’est la règle. La subtilité échappe au clinicien qui s’est contenté de sauver des vies. Déçu, il reprend son travail. Pour toute réaction, les médecins recevront un courrier de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) les sommant de justifier leur choix d’utiliser un médicament non référencé pour le Covid. Les parapluies sont ouverts.
Alors que le virus sévit encore, ils décident d’envoyer l’étude au « New England ». Les processus de validation, habituellement très longs, ont été raccourcis. Le papier reçoit la validation de la revue américaine. Alléluia ! Mais il faut encore attendre pour la publication. « On avait l’impression d’avoir une solution, mais on ne savait pas si l’on devait communiquer, ni comment le faire », confie Thomas Huet. L’idée de publier en « open source » démange les auteurs de l’article. Non pas pour jouer les héros, mais pour faire avancer la recherche. Quelques cliniciens de Saint-Joseph y sont favorables, Gilles Chatellier s’y oppose. Il faut rester dans les clous. Jean-Patrick Lajonchère partage cet avis : « Si on parle trop tôt, on se met dans une polémique contre-productive. Notre objectif, c’est de soigner. » Puis l’éditeur américain se rétracte. Il n’y aurait « plus de place » pour cette étude dans le « New England ». Coup dur. Les auteurs changent immédiatement de cible et publient dans « The Lancet », l’autre revue de référence. C’est une première en France. Les cliniciens de Saint-Joseph apportent une nouvelle pierre à l’édifice de la recherche mondiale et font entrer l’anakinra dans le top 5 des traitements les plus prometteurs.
Le virus sévit sur le continent américain où des cliniciens ont déjà compris l’intérêt de commander de l’anakinra
Leur publication vient enrichir celle du CHU de Caen, où un professeur qui a soigné dix patients a publié dans la revue « Annals of the Rheumatic Diseases ». À Gênes, l’Istituto Gaslini a remis sur pied cinq personnes hospitalisées dans un état grave, sans intubation. Enfin, à Milan, le docteur Giulio Cavalli, de l’hôpital San Raffaele, a mené une étude semblable à celle de Saint-Joseph. En plein pic, cet immunologue a testé l’anakinra sur 70 patients et obtenu des résultats très significatifs.
Tout cela est… « encourageant ». Tel est le terme avancé par le « Lancet », repris en chœur dans le milieu scientifique où l’on ne jure que par des études « randomisées ». Une poignée d’initiatives ont été lancées pour mener des essais cliniques en bonne et due forme. Mais, maintenant que la crise est passée, les patients manquent. Et tant mieux.
Le virus sévit sur le continent américain où des cliniciens ont déjà compris l’intérêt de commander de l’anakinra. En attendant, les chercheurs de Saint-Joseph préparent leur deuxième publication. Les Français continuent de plancher sur les données qu’ils n’ont pas encore exploitées, et ils comptent les croiser avec celles des Italiens. « Pour nous, explique Gilles Hayem, toutes ces études ont apporté des éléments de preuves assez nets. Il paraît clair que l’anakinra diminue la mortalité et le risque de passage en réanimation. » Une certitude qu’il ne partage pas avec les « dogmatiques » du système, mais avec tous ceux qui, comme lui, ont vu de leurs yeux les bienfaits de ce traitement sur leurs malades.
Par François de Labarre et Elisabeth Lazaroo Source : parismatch.com
Pour plus d'informations
Nous vous conseillons de consulter la vidéo diffusée en ligne : Covid-19 le visage du mal.Présentée par le Docteur Rodolphe Gombergh (radiologue).
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Note de "La Vie Hospitalière"
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