"La Vie Hospitalière"

mardi 3 décembre 2019

Un médecin hospitalier sur deux se dit «touché par un épuisement professionnel»


À l’heure où les hôpitaux traversent une crise multiforme, un étude pointe le taux alarmant de surmenage chez les médecins hospitaliers.
Ils vont mal, ils sont fatigués, ils souffrent d’un manque de temps et se plaignent ouvertement d’une pression de la part de l’administration. A l’heure où les hôpitaux traversent une crise multiforme, «près de la moitié des médecins hospitaliers se disent touchés par un épuisement professionnel», selon une étude qui vient d’être publiée dans la grande revue médicale Psychiatry Research (1). Un des auteurs n’est autre que le professeur Antoine Pelissolo, un des présidents de la coordination interhôpitaux à l’origine du mouvement actuel de grèves et de contestation.
Ce taux impressionnant pointe une tendance lourde car il y a vingt ans, pareille question ne se posait même pas. Etre médecin hospitalier était synonyme de réussite. Et leurs difficultés ne s’exprimaient pas, d’autant qu’à l’hôpital le pouvoir était entre leurs mains. «Aujourd’hui, il n’y a plus de tabou. On en parle, les médecins le disent et le reconnaissent. Et c’est vraiment la pression qui est en cause», nous explique le professeur Pelissolo.
«Stress excessif»
Cette étude a été réalisée auprès de 677 médecins (sur 1 540 qui avaient été sollicités), dont 285 psychiatres, en poste dans des hôpitaux et cliniques du sud et de l’est de l’Ile-de-France. Ils ont répondu à plusieurs questionnaires «permettant d’évaluer leurs niveaux de stress au travail, d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel (burn-out), ainsi que les facteurs de risque associés à ces différents états». Les résultats sont clairs : «Un stress excessif lié à l’activité professionnelle est rapporté par 88,5% des médecins. Il est considéré comme "intense ou très intense" par 24,2% d’entre eux», énumère l’étude. Et il n’y a pas de différence entre psychiatres et non-psychiatres.
Un état d’épuisement est retrouvé chez près de la moitié des médecins, qu’il s’agisse d’un épuisement personnel (49%), lié au travail (44%), ou interpersonnel, lié aux relations de travail (41%). Fait notable, l’épuisement interpersonnel est plus fréquent chez les psychiatres (45,3%) que chez les non-psychiatres (37,1%), sachant que les psychiatres plus anciens dans la carrière sont plus touchés que les plus jeunes (55,9% contre 39,8%). Comme si les relations entre collègues dans cette discipline n’étaient franchement pas bonnes. Plus généralement, «des symptômes dépressifs significatifs sont retrouvés chez 11,1% des médecins. Une anxiété significative se manifeste chez 28,6% des médecins, les psychiatres étant légèrement moins touchés que les non-psychiatres (22,8% contre 33,7%)». Résultat, l’étude dresse le tableau d’une profession quasi sinistrée.
«Coincés dans un carcan»
À la question des causes de ce mal-être massif, les réponses sont, elles aussi, sans ambiguïté : «Intensité et temps de travail» et «exigences émotionnelles» sont les deux principaux facteurs, mais aussi «une relation vécue comme stressante avec l’administration», aussi perçue comme un élément qui contribue au risque d’épuisement professionnel. Comme si quelque chose ne fonctionnait plus dans les relations à l’hôpital. «Ce qui est nouveau, analyse le professeur Pelissolo, c’est que les médecins ont le sentiment de ne plus avoir de marge de manœuvre, ils se sentent coincés dans un carcan, alors qu’avant les choses leur semblaient plus souples.» Et le psychiatre ajoute : «Ce qui fait monter le stress, c’est cette impression de ne plus avoir la possibilité d’agir, d’être ainsi passif, en particulier sur les choix médicaux.» Ce qu’avait résumé ainsi récemment un rapport de l’Académie de médecine : «Le médecin parle soins et patients, alors que l’administration parle budget, économies et déficit.»
En fait, toutes les études confirment cette atteinte profonde que ressent le corps hospitalier. Souvenons-nous qu’il y a six mois, un autre travail avait indiqué que près de 60% des urgentistes (57%) et plus de la moitié des jeunes médecins (52%) souffraient d’au moins un symptôme caractérisant le burn-out en France, selon une analyse d’un chercheur des hôpitaux de Marseille portant sur des dizaines d’études incluant 15 000 médecins français. «Ces résultats confirment la nécessité de réduire la charge de travail perçue, ainsi que d’améliorer la gestion des émotions par les médecins», conclut l’étude. «Et nous ne sommes pas sûrs que la reprise partielle de la dette des hôpitaux, annoncée par le gouvernement, va changer la donne», persifle le professeur Pelissolo…
(1) Étude coordonnée par les professeurs Patrick Hardy et Emmanuelle Corruble (hôpitaux universitaires Paris-Sud, AP-HP, le Kremlin-Bicêtre) et par le professeur Antoine Pelissolo (hôpitaux universitaires Henri-Mondor, AP-HP, Créteil).

Source : liberation.fr


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