"La Vie Hospitalière"

vendredi 13 décembre 2019

«J’ai eu peur que mon patient meure»: quand la grève dans les transports affecte l’hôpital


Selon une infirmière parisienne, mardi, un patient en urgence vitale a dû attendre 1 heure 30 avant de recevoir des médicaments, de nombreux soignants étant bloqués par le mouvement social.
« Heureusement que ses proches n’étaient pas à ses côtés,» soupire Claire (prénom d’emprunt).« Je ne me voyais pas leur expliquer qu’en raison de la grève, je ne pouvais pas soigner ce patient en urgence vitale. » La journée de mardi fut particulièrement longue et éprouvante pour cette infirmière de 23 ans, qui officie à la Pitié-Salpêtrière, l’un des 39 hôpitaux que compte l’AP-HP (Assistance Publique - Hôpitaux de Paris).
En raison d’une pénurie de personnel, l’un de ses patients, qui risquait de développer un choc septique, a dû patienter plus d’1heure 30 avant de pouvoir recevoir des antibiotiques. 
Un dysfonctionnement que Claire impute indirectement à la mobilisation contre la réforme des retraites, qui affecte lourdement les transports d’Île-de-France et donc le quotidien des soignants, déjà ponctué, selon elle, « de débrouille et de bricolage ». « Ce n’est qu’un facteur d’aggravation de problèmes préexistants », déplore la jeune femme. Elle a effectué un signalement qui sera analysé par l’AP-HP.
Pour bien comprendre sa mésaventure, il faut rembobiner la journée de cette infirmière qui débute mardi aux aurores. Il est 6 heures 45. Afin de relever à l’heure ses collègues de nuit, dans son service qui compte 22 patients, Claire a parcouru à vélo les 10 km qui la séparent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Elle doit travailler jusqu’à 14 heures 15, mais l’une des soignantes qui officie l’après-midi ne peut se déplacer en raison du trafic routier ankylosé.
Début d’hémorragie et risque de choc septique
Sollicitée par sa cadre, Claire accepte d’effectuer des heures supplémentaires, afin de respecter le minimum prévu de deux infirmières et deux aides-soignants dans le service. Ce n’est pas rare qu’elle remplace des collègues au pied levé. « On arrive toujours à se débrouiller », convient la jeune femme.
Claire, qui avait prévu de dormir sur place - comme l’a proposé l’AP-HP à son personnel pendant la grève, avec d’autres aménagements telles que des navettes et service de garderie à disposition - pense alors terminer à 19 heures cette journée de travail à rallonge. Mais vers 17 heures 30, les premiers doutes se dessinent : elle n’a toujours pas de nouvelles d’une éventuelle relève. Claire en avise l’une de ses cadres. Silence radio.
Une heure plus tard, l’état de l’un de ses 22 patients se dégrade. Le diagnostic est vite posé par un médecin. « Il a fait un début d’hémorragie et risque un choc septique », relate Claire. Une « urgence vitale », souligne-t-elle. Le choc septique est lié à une infection fulgurante et s’avère être l’une des premières causes de mortalité dans les hôpitaux. Une fois la prescription du médecin effectuée, elle appelle un coursier pour qu’il lui apporte en véhicule les antibiotiques à administrer d’urgence au patient, indisponibles dans son service.
Plus de coursier pour aller chercher les médicaments
« L’hôpital est tellement grand qu’on ne peut pas aller chercher les médicaments nous-mêmes. Il nous arrive parfois de demander à un aide-soignant d’y aller, mais cela prend 20 minutes aller-retour », explique la professionnelle. La situation se complexifie : il est 19 heures, l’une des deux aides-soignantes de l’après-midi est rentrée chez elle, tout comme le coursier contacté.
Leur situation est la même que celle de la jeune infirmière : tous deux travaillaient depuis l’aube et avaient été sollicités pour effectuer des heures supplémentaires, faute de personnel. Il reste bien deux soignants dans l’équipe de Claire, mais aucun ne peut quitter les 22 occupants du service. Le temps presse, elle n’a toujours pas en main les médicaments et l’état de son patient ne s’arrange pas. La jeune femme, paniquée, contacte alors le numéro de la garde administrative de l’hôpital. « Et là, ils me disent que je leur pose une colle. Ils n’ont personne sous la main, ni pour me relever, ni pour m’apporter des médicaments. »
L’infirmière n’en revient pas. « J’ai eu peur que mon patient meure… » Elle réussit finalement à joindre un collègue d’un autre service, qui réussira à lui procurer les médicaments à temps. En tout, 1 heure 30 s’est écoulée. « Nous nous en sommes sortis… Comme à notre habitude », souffle ce jeudi la soignante, qui certifie que « le patient va mieux ».
15 heures de travail d’affilée
Il faudra encore attendre 21 heures pour qu’une infirmière de nuit prenne le relais de Claire. Une demi-heure plus tard, après lui avoir transmis les informations nécessaires, elle quitte enfin l’hôpital, où elle ne s’imagine finalement pas dormir. Claire a alors travaillé sans discontinuer pendant près de 15 heures. « J’étais épuisée, j’en avais vraiment marre. »
Un cadre lui propose de décaler ses horaires du lendemain - elle devait reprendre du service à 6 heures 45 - pour respecter le délai de 12 heures. « Mais au réveil, je ne me sentais pas de revenir travailler. J’avais peu dormi et j’étais angoissée », témoigne la soignante, qui a finalement posé un jour de congé.
L’infirmière, qui se dit écœurée et « impuissante » face à cette « mise en danger extrême des patients », peste : « Ce n’est déjà pas facile dans mon service, mais en cette période de grève, l’organisation devient extrêmement compliquée. J’ai très envie de changer de service. » Selon elle, cet incident est dû « à une gestion désastreuse de l’hôpital, de ses services et de ses personnels », qui s’est retrouvée « amplifiée par la grève des transports. »
Selon l’AP-HP, « la fatigue se fait sentir chez les personnels »
Contactée, l’AP-HP assure ne pas avoir eu de remontée d’autres cas, similaires à celui relaté par Claire, depuis le début du mouvement de grève. L’institution concède néanmoins qu’avec ces perturbations de trafic, « la fatigue se fait sentir chez les personnels qui peuvent venir et sont usés par les heures de transports ». Il est trop tôt pour avoir des données portant sur l’absentéisme dans les hôpitaux franciliens pendant cette grève, note aussi l’AP-HP, qui rapporte avoir déprogrammé certaines opérations, « afin de concentrer les moyens humains sur celles qui sont les plus urgentes. »
Rien qui puisse suffire à éteindre la colère de Claire, dépitée par le manque de moyens dans l’hôpital public. « Nous portons les services à bout de bras, et les patients sont mis en danger par cette gestion désastreuse, alors que nous passons notre temps à alarmer toutes la chaîne de direction de l’hôpital », dénonce-t-elle.
Comme l’exige sa hiérarchie, Claire a effectué un signalement d’« incident indésirable ». Et à la question : « Pouvez-vous évaluer la gravité immédiate de cet événement ? », la jeune infirmière a répondu : « catastrophique ».

Source : leparisien.fr


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