"La Vie Hospitalière"

dimanche 1 décembre 2019

« Le plan d’urgence pour l’hôpital n’éteindra pas l’incendie »


Tribune 
En réaction au plan pour l’hôpital dévoilé par le gouvernement le 20 novembre, plus de 150 chefs de pôles et directeurs médicaux, venus des trente centres hospitaliers universitaires de France, expriment leur inquiétude dans une tribune au « Monde ». Pour eux, les mesures annoncées sont insuffisantes.



Médecins assumant les plus hautes responsabilités dans les hôpitaux universitaires, notre mobilisation a une valeur symbolique d’autant plus forte que notre parole est rare. 

Nous parlons ici en dehors de tout parti-pris syndical, parce que nous avons la passion du service public de santé.
Mercredi 20 novembre notre attente était forte, à la mesure de la colère qui gronde. Le plan d’urgence pour l’hôpital public annoncé par le gouvernement n’est pas quantité négligeable : une réduction d’un tiers de la dette des hôpitaux publics sur trois ans, une augmentation de l’Objectif national des dépenses d’Assurance-maladie (Ondam) de 0,35 % et la stabilisation du tarif des séjours hospitaliers.
Toutefois, cette tribune exprime notre sentiment que ces mesures ne normaliseront pas la prise en charge des patients et n’éteindront pas l’incendie qui ravage l’hôpital public.
Situation critique
L’accès aux soins est en situation critique à l’hôpital public et pose aux soignants des problèmes éthiques. L’hôpital public a des missions multiples et parfois méconnues. Assurant la gestion des deux tiers des lits d’hospitalisation de France, il a d’abord pour vocation d’offrir à tous, enfants et adultes, sans distinction d’origine, de fortune, ou de maladie, l’empathie et les soins nécessaires dans des moments difficiles de la vie. Il accueille l’immense majorité des urgences vasculaires cérébrales et cardiovasculaires, psychiatriques, pédiatriques et obstétricales, qu’elles soient médicales ou chirurgicales. Il est en première ligne pour les grandes détresses vitales avec les SAMU et les réanimations. Il traite aussi les patients atteints de maladies chroniques dont la totalité des transplantations d’organes et des maladies rares (7 millions de personnes en France). Il est tourné vers l’innovation, avec plus de 10.000 essais cliniques par an qui définissent les outils diagnostiques et les traitements de demain. Ses médecins et ses soignants assument finalement la formation des futurs acteurs de santé.
La situation actuelle ne permet plus une prise en charge optimale de nombreuses catégories de patients en raison d’un nombre considérable de postes vacants de soignants, comme nous l’avons dénoncé dans une précédente tribune. Parmi les plus graves conséquences que nous observons :
- Des nourrissons en détresse vitale sont quotidiennement refusés en secteurs de soins intensifs, faute de lits ouverts en réanimation pédiatrique. Ces enfants sont régulièrement transférés dans des hôpitaux situés à plus de 200 km de leur domicile.
- Des patients venant de faire un accident vasculaire cérébral sont parfois pris en charge avec retard, diminuant ainsi leurs chances de récupération optimale. En réanimation, des transferts de patients instables sont nécessaires pour accueillir les nouveaux arrivants.
- Faute d’anesthésistes et d’infirmières, l’accès aux blocs opératoires est restreint et fait reporter des interventions nécessaires.
- En psychiatrie, des patients à risque suicidaire élevé ou avec de graves troubles du comportement attendent un lit parfois plusieurs jours aux urgences, dans des conditions indignes et non sécurisées.
- En radiologie, la crise touche de façon inquiétante les manipulateurs et les médecins imageurs. Dans de nombreux hôpitaux, les fermetures d’équipements (imagerie par résonance magnétique, scanner, tomographie par émission de positons…) allongent les délais de rendez-vous.
- Les laboratoires et les pharmacies hospitalières nécessaires aux diagnostics, à la préparation et à la dispensation des traitements sont également touchés par une limitation des moyens.
Pour pallier le manque de soignants, nous observons une multiplication insoutenable des heures supplémentaires, le recours habituel à du personnel intérimaire coûteux et souvent moins expérimenté. Mais cela n’empêche plus la fermeture de lits. Cette situation dégradée entraîne des conflits éthiques chez les soignants qui sont amenés par la force des choses à privilégier la prise en charge de tel ou tel type de patient faute de pouvoir répondre de façon optimale à tous. Si la qualité des soins semble encore très bonne pour la plupart des usagers de l’hôpital public, c’est le plus souvent grâce au sacrifice quotidien des personnels restants qui s’épuisent.
Cette désespérance a conduit aux collectifs nationaux Inter-Urgences (CIU) et plus récemment Inter-Hôpitaux (CIH) qui portent des revendications depuis huit mois.
Pour sortir du cercle vicieux dans lequel est enfermé l’hôpital public (manque de moyens, épuisement du personnel, défaut d’attractivité, fermeture de lits) il faut lever temporairement l’étau financier imposé par l’Etat depuis plus de dix ans
La perte d’attractivité de l’hôpital public est en lien avec des salaires trop modestes au regard du travail fourni, de la longueur des études et du poids des responsabilités. Les salaires des infirmières et aides-soignantes sont parmi les plus bas d’Europe et nous avons plaidé pour leur augmentation. Le choix du gouvernement s’est porté sur l’attribution de primes généralement faibles, variables d’un métier à l’autre ou d’une région à l’autre, soumises aux lourdeurs administratives et dont la pérennité n’est pas certaine. 
Seule une revalorisation immédiate des salaires les plus bas, via les grilles indiciaires, permettra la réouverture des lits et des salles d’opération fermés. Cette mesure est urgente.
Pour sortir du cercle vicieux dans lequel est enfermé l’hôpital public (manque de moyens, épuisement du personnel, défaut d’attractivité, fermeture de lits) il faut lever temporairement l’étau financier imposé par l’État depuis plus de dix ans. 
Chaque année, des économies évaluées à 1 milliard d’euros sont faites par les hôpitaux. Cela n’est pas tenable en période de crise. 
Si une réorganisation des soins est envisagée dans le plan « Ma santé 2022 », cela ne peut se faire qu’avec un moratoire des mesures d’économie. Or le gouvernement prévoit de nouveau pour 2020, 2021 et 2022 les mêmes mesures d’économie chiffrées à environ 1 milliard d’euros par an, selon l’Avis du Comité d’alerte  n° 2019-3 sur le respect de l’Ondam.
En regard, les mesures financières annoncées correspondent au coût d’une journée de fonctionnement de l’hôpital public (ce qui tombe à point pour une année bissextile comme 2020). Elles couvrent au mieux les dépenses nouvelles proposées. 
Même les associations et syndicats de directeurs d’hôpitaux, habituellement réservés, ont exprimé leur scepticisme quant à l’impact de ces mesures. Les doyens des facultés de médecine et l’Institut national de la recherche médicale (Inserm), eux aussi, s’inquiètent des retombées du manque de moyens sur l’enseignement et la recherche et ils l’ont fait savoir en publiant une tribune, le 12 novembre, sur le site L’actu des CHU.
L’hôpital public est notre bien commun. Nous sommes ou nous serons tous malades un jour. Pour garder ce « trésor national », comme le dit la ministre de la santé, Agnès Buzyn, des mesures d’urgence fortes, lisibles et courageuses doivent être prises :
Pour répondre à l’urgence et améliorer l’attractivité de nos hôpitaux, il faut réviser les grilles indiciaires des personnels soignants. En premier lieu celles des infirmiers et aides-soignants puis des autres personnels depuis trop longtemps négligés. La qualité de vie au travail doit aussi reprendre ses droits face à la productivité.
Pour réformer l’hôpital public, un moratoire des économies est temporairement nécessaire. Il faut donner à l’hôpital de quoi couvrir les dépenses de santé de la population.

Source : lemonde.fr
Pour plus d'informations (dont la liste des signataires du collectif)
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