"La Vie Hospitalière"

mardi 9 juillet 2019

Médicaments: qui sont les vrais responsables de la pénurie?


La ministre de la Santé Agnès Buzyn a présenté lundi 8 juillet sa feuille de route pour lutter contre les pénuries de médicaments, qui touchent de plus en plus de Français. Ces grands axes, qui doivent aboutir à un plan définitif en septembre, s’attaquent-ils aux causes réelles de ce phénomène inquiétant ?
Un Français sur quatre s’est déjà vu refuser la délivrance d’un médicament en pharmacie en raison d’une pénurie. "Ce phénomène s’accélère, particulièrement ces dernières années", écrit Agnès Buzyn, ministre de la Santé, dans son introduction à la feuille de route qu’elle a présentée lundi 8 juillet pour lutter contre les pénuries de médicaments
Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament, les signalements de pénuries ont été multipliés par vingt entre 2008 et 2018. La liste des traitements concernés ne cesse de s’allonger : plus de 1.200 médicaments dits d’intérêt majeur pourraient être concernés en 2019, contre un peu plus de 500 en 2017. ,,,,,,,, précise la ministre qui a annoncé, fin mai, vouloir s’attaquer au problème, en pleine crise de pénurie des anti-inflammatoires dérivés de la cortisone Solupred et Cortancyl et leurs génériques.
Autour de quatre axes, la feuille de route d’Agnès Buzyn – sur la période 2019-2022 – s’attaque à plusieurs urgences : améliorer l’information des patients et des professionnels de santé, élargir le champ d’action des pharmaciens qui pourront remplacer un médicament indisponible par un autre conformément aux répertoires des autorités, adapter les procédures d’appels d’offres pour sécuriser les approvisionnements des hôpitaux, renforcer la coopération européenne, en intégrant notamment une harmonisation des réglementations (en matière de stocks, de stratégie de lutte contre les pénuries, etc.). Des orientations qui doivent aboutir à un plan définitif élaboré par un comité de pilotage impliquant tous les acteurs (laboratoires, grossistes répartiteurs, pharmaciens, associations de patients, etc.) en septembre. "Seule une approche partenariale et pluridisciplinaire permettra de relever ce défi de santé publique", conclut la ministre.
Stratégies "contestables"
Mais pour France Assos Santé, ce plan anti-pénurie laisse filer les vrais responsables de la crise entre les mailles du filet. L’association des usagers du système de santé estime que les laboratoires pharmaceutiques et les grossistes répartiteurs, chargés de l’approvisionnement en médicaments des officines, sont les principaux responsables de la situation. Et parfois même sans hésiter à les accuser d’organiser ces ruptures de stock à travers des "stratégies industrielles et commerciales contestables". "Les capacités de production ont été délocalisées et sont concentrées dans des usines en Asie. Quand il y a un accident dans la chaîne de production, il n’y a pas de plan B !" dénonçait ainsi le mois dernier, auprès de Challenges, Alain-Michel Ceretti, qui vient de céder son siège de président de France Assos Santé à Gérard Raymond.
"Les pénuries de médicaments constituent un phénomène mondial, mais la France est particulièrement touchée parce que sa production domestique a fortement diminué ces dernières années", abonde Claude Le Pen, professeur à l’Université Paris Dauphine, spécialiste de l’économie de la santé, interrogé par La Croix
L’an dernier, les malades de Parkinson ont subi des ruptures d’approvisionnement majeures d’un médicament central dans la prise en charge de leur maladie, le Sinemet du laboratoire MSD, à cause d’un problème qui a touché un site de production aux États-Unis. Autre cause pointée par France Assos Santé : "Les industriels préfèrent commercialiser leurs produits là où ils les vendent plus cher, comme en Allemagne ou en Suède". La France ou l’Espagne, où les prix des médicaments sont plus bas, seraient donc logiquement moins intéressantes pour y écouler leur production…
"Les médicaments ne sont pas des produits de consommation comme les autres, leur production et leur distribution ne sauraient répondre à la seule logique de rentabilité financière ", a martelé Gérard Raymond, le nouveau président de l’association qui, en saluant la "volonté louable des pouvoirs publics de s’attaquer au problème", déplore le manque de "mesures dissuasives pour lutter contre ces dérives". Le plan d’Agnès Buzyn, à ce stade, élude totalement la question des sanctions. Tout juste des contrôles renforcés par l’ANSM et les Autorités régionales de santé (ARS) des "short liners", ces distributeurs en gros qui acquièrent des stocks d’un assortiment très limité de spécialités (les médicaments les plus rentables) et les revendent à l’export vers des pays qui "payent mieux".
Baisses des prix des médicaments
Pour l’économiste Frédéric Bizard, expert en protection sociale et en santé, les difficultés de production mises en avant ne doivent pas cacher une autre réalité. "Les autorités masquent un malaise profond pour le marché pharmaceutique français : la France n’est plus prioritaire dans le circuit de distribution de multiples laboratoires", écrit-il dans une note d’analyse. La faute à "la baisse récurrente des prix ces dix dernières années sur les médicaments", entre autres facteurs. "S’il est normal que le prix des médicaments baisse au cours du temps lorsqu’un médicament perd de sa valeur thérapeutique au profit de produits innovants d’une part et tombe dans le domaine public d’autre part, la logique dominante de ces baisses de prix a été de rentrer dans les clous de l’Ondam [l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, qui fixe la trajectoire des dépenses de santé, NDLR]". Et à ce jeu-là, souligne Frédéric Bizard, "l’administration de la santé française ne s’est pas gênée pour utiliser ce levier de maîtrise budgétaire". Résultat, "l’industrie abandonne souvent des produits non rentables et se concentre sur des produits nouveaux, qui rapportent beaucoup plus", résume le pharmacologue Alain Astier dans une tribune dans Le Monde.
Loin de nier le phénomène de ruptures de stock, l’industrie pharmaceutique se montre offensive sur le sujet. "Les pénuries de médicaments sont un enjeu majeur pour les industriels. Nous avons une part de responsabilité pour mettre en œuvre ce plan d’action", commente Thomas Borel, directeur des Affaires scientifiques du Leem, l’organisation des professionnels du médicament qui a d’ailleurs présenté son propre plan anti-pénurie en février. Pour autant, les laboratoires ne veulent pas être les seuls à porter le chapeau. "Ce sujet est multifactoriel et plusieurs acteurs sont impliqués", rappelle Thomas Borel, qui pointe aussi la politique nationale des prix des médicaments. Un audit sur le prix de revient industriel, notamment celui "des médicaments anciens indispensables et sans alternative" pourrait être mené à l’horizon de 2021, d’après la feuille de route de la ministre.
Dans son plan, le Leem appelle aussi à favoriser la relocalisation en Europe des sites de production des matières premières actives (entre 60 et 80% des principes actifs sont fabriqués hors de l’UE, contre 20% il y a trente ans, selon l’IGAS). Sur ce point, là encore, la balle est dans le camp des pouvoirs publics, nationaux et européens. Dans son plan, Agnès Buzyn évoque la piste de "mesures d’incitations financières et fiscales au maintien/relocalisation de sites de production en France et en Europe". À l’échéance 2022.
Source:   challenges.fr



Aucun commentaire: