Le pire des scénarios est en train de se produire dans plusieurs hôpitaux : des patients sont dépistés positifs au coronavirus, après plusieurs jours d’hospitalisation.
Source : mediapart.fr
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Des soignants sont renvoyés chez eux, des services ferment. Récits dans deux hôpitaux de l’Oise, Creil et Compiègne, et à l’hôpital Tenon, à Paris.
L’homme est conducteur de bus sur la base militaire de Creil. À partir du 16 février, il a été hospitalisé à l’hôpital de Compiègne, dans l’Oise, pour un syndrome respiratoire aigu. Son état se dégradant, il a été admis en réanimation le 18 février. Les médecins se sont rapidement interrogés sur un possible coronavirus, en raison de son état et de son emploi sur la base de Creil. La rumeur courait alors que des militaires avaient participé aux convois de rapatriement des Français de la ville chinoise de Wuhan, épicentre du nouveau coronavirus. Seulement, le test leur a été refusé par l’établissement de référence, le CHU d’Amiens, car il ne répondait pas aux deux critères fixés par l’administration de la santé : revenir d’une zone à risque, ou avoir été en contact avec un cas confirmé de coronavirus.
« Les médecins ici sont furieux, raconte l’un d’entre eux. On n’a pas fait confiance au sens clinique de médecins expérimentés, ils ont été exposés. » Interrogée, l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France n’a pas démenti ce récit. Depuis, huit autres cas potentiels ont été dépistés sur la base militaire de Creil. L’épidémie de coronavirus circule désormais en France, au moins dans l’Oise.
Et le pire des scénarios est en train de se jouer pour le système de santé. Les hôpitaux sont touchés : des soignants contractent à leur tour le virus, d’autres sont renvoyés chez eux, confinés pendant 14 jours, des services doivent fermer, alors même que la France est sous une menace épidémique.
Dans chaque hôpital touché, une enquête épidémiologique très fine est conduite : « Elle doit établir dans quel service le malade est passé, dans quelle chambre il était, qui l’a pris en charge. C’est presque une enquête policière, a expliqué le directeur général de la santé Jérôme Salomon, mercredi 26 février. Quand on a fait la liste de tous les contacts possibles – les soignants, les visiteurs, les proches, les autres patients –, on fait un classement qui correspond à une prise de risque. Cela va de la personne à l’accueil qui a pris son nom, au soignant qui l’a pris en charge de manière rapprochée. Les personnes à haut risque sont placées en confinement à domicile pendant 14 jours. »
À Compiègne, 95 personnels de l’hôpital sont rentrés chez eux et autant de tests de coronavirus ont été lancés. Dans le service de réanimation, seul un médecin de retour de vacances est autorisé à travailler. Sur 15 lits, seuls 6 restent ouverts, il n’y a plus aucune nouvelle admission en réanimation à Compiègne, ainsi qu’en endocrinologie, l’autre service où est aussi passé le professeur décédé. Et ceci « par manque de personnels soignants », reconnaît l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France.
La situation est identique à l’hôpital de Creil où a été hospitalisé le professeur de technologie de l’Oise, première victime française du coronavirus, décédé dans la nuit du mardi 25 février à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, et détecté seulement post-mortem.
À l’hôpital de Creil, il a été admis aux urgences, puis hospitalisé en réanimation. L’enquête épidémiologique a renvoyé chez eux, pour 14 jours, une centaine de soignants : « 15 médecins, 30 infirmières, 22 aides-soignantes, 3 ambulanciers, 3 brancardiers, etc. Le service de réanimation a été entièrement fermé », raconte Sylvie Poiret, du syndicat CGT de l’hôpital. « Les patients ont tous été transférés dans plusieurs hôpitaux des Hauts-de-France et de l’Île-de-France », précise l’ARS. Mais Sylvie Poiret s’inquiète : « Dans l’Oise, qu’est-ce qu’il nous reste comme lits de réanimation ? »
Aux urgences de Creil, ce sont « 4 infirmières, 2 médecins, et 2 ambulanciers qui ont été renvoyés chez eux », explique le médecin Loïc Pen, ancien chef de service des urgences, également syndicaliste CGT. Il a démissionné de ses fonctions, il y a un an, pour protester contre le manque de moyens de son service. Il n’a jamais été remplacé. Il décrit des urgences déjà fragiles, aujourd’hui à genoux : « Cinq médecins ont quitté le service et n’ont jamais été remplacés. On avait déjà du mal à faire tenir, chaque jour, notre ligne de SMUR. Mais hier, faute de soignants, elle n’a pas fonctionné du tout ! L’offre de soins était très dégradée. J’ai réclamé des renforts, j’espère avoir été entendu. » L’ARS confirme que « des renforts ont été sollicités ».
Un grand centre hospitalier universitaire est à son tour touché. L’hôpital Tenon à Paris a découvert, jeudi 27 février, qu’un de ses patients, hospitalisé en réanimation depuis 10 jours, dans un état critique, est lui aussi porteur du coronavirus. Un soignant du service affirme « qu’une infirmière du service est aussi positive ». « Un aide-soignant à l’accueil des urgences a aussi de la fièvre. On se demande qui sera la prochaine personne malade. On est inquiets, surtout pour nos proches. On a l’impression que personne ne sait trop quoi faire », poursuit-elle. Une réunion s’est tenue vendredi soir dans le service, décision a été prise que « chaque soignant du service rentre chez lui avec des masques pour protéger ses proches ». Seul l’élève infirmier qui s’est occupé du patient est renvoyé chez lui « parce qu’il n’est pas indispensable à la bonne marche du service ». Celui-ci doit donc continuer à fonctionner, coûte que coûte.
Contactée, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) ne dément pas la situation de l’hôpital Tenon, mais renvoie vers le ministère. Celui-ci indique que le ministre de la santé Olivier Véran annoncera vendredi soir, dans l’Oise, le nombre de nouveaux cas. L’hôpital public bruisse de rumeurs.
Jean-Michel Constantin, anesthésiste-réanimateur à la Pitié-Salpêtrière à Paris, et membre de la Société française d’anesthésie réanimation, est informé de la situation de l’hôpital Tenon. Pour lui, le service de réanimation ne peut pas fermer : « Si on ferme Tenon aujourd’hui, demain ce sera l’hôpital européen Georges-Pompidou, après-demain l’hôpital Bichat. Quand on sera au sommet de l’épidémie on transfèrera les patients à Saint-Brieuc ? Il va falloir s’adapter. »
L’urgentiste de Creil, Loïc Pen, remet lui aussi en cause la doctrine du confinement de toutes les personnes qui ont été au contact de personnes malades : « Ce sont des mesures drastiques. Si le personnel est symptomatique, il doit rentrer chez lui. Mais s’il ne l’est pas, il doit pouvoir travailler, avec un masque FFP2 et des lunettes », soit le kit de protection le plus efficace.
Mercredi soir, le médecin-réanimateur Jean-Michel Constantin confiait ne pas avoir « d’inquiétude sur les capacités d’hospitalisation en réanimation. En cas d’épidémie, on déprogrammera des opérations, lorsque c’est possible, pour libérer des lits. On sait faire. La vraie inquiétude, c’est si les soignants tombent malades, ou s’ils sont immobilisés chez eux ». Aujourd’hui, il confirme : « On est bien dans ce scénario. »
Une étude publiée dans le Lancet, à partir de l’expérience chinoise, fait le lien entre le nombre de décès constatés dans la région de Wuhan et le fait que l’hôpital ait été dépassé.
Une autre étude, publiée par les autorités de santé chinoises dans le Journal of the American Medical Association, fait état de 1.716 personnels soignants chinois contaminés, sur un total de 44.672 malades. Cinq sont décédés. 63 % de ces cas sont concentrés dans la région de Wuhan, épicentre de l’épidémie.
Cette épidémie de coronavirus devient un risque politique majeur pour le gouvernement. Il ne va pas cesser d’être rappelé à ses responsabilités par des hospitaliers qui alertent depuis un an sur le manque de moyens de l’hôpital public.
C’est ce qu’a fait François Salachas, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, membre du Collectif inter-hôpitaux, qui s’est saisi de la main du président de la République, à l’occasion d’une visite jeudi 27 février, et ne l’a pas lâchée : « Nous sommes au bout, on a besoin d’un choc, il faut refinancer en urgence l’hôpital public », lui-a-t-il asséné.
Article de Caroline Coq-ChodorgeSource : mediapart.fr
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