"La Vie Hospitalière"

mardi 27 août 2019

Histoires de la médecine - Henry Dunant, l'homme d'affaires qui a fondé la Croix-Rouge

Cet homme d’affaires suisse s’est retrouvé, suffoquant d’effroi, au cœur de la bataille de Solferino en 1859. « Une boucherie ». Un traumatisme qui va changer son destin.
Parfois un événement imprévu modifie le chemin parfaitement tracé d’une vie, et la personne concernée est amenée à entreprendre et à réaliser des choses qu’elle n’aurait jamais imaginé pouvoir ou savoir faire. Tel fut le cas d’Henry Dunant. D’origine suisse, il était au début de sa carrière un bourgeois tranquille, un homme d’affaires rangé, avec un certain intérêt pour les activités sociales qu’il tenait de ses parents. 
À Genève, son père avait mené des actions de bienfaisance pour les orphelins et la réinsertion d’anciens criminels, et sa mère pour les pauvres et les malades. Converti au protestantisme, il était très croyant. Il avait acheté vers les années 1850 un grand domaine agricole en Algérie qu’il cherchait à agrandir. Pour obtenir des permis, il s’adressa au gouvernement français, avec insistance mais sans succès. Furieux d’être négligé à ce point, il se promit de rencontrer Napoléon III.
La tâche se révéla insurmontable à Paris. Cet échec allait bouleverser son destin. Excédé, il décida de tenter sa chance à Solferino où l’empereur s’était arrêté avec son armée pour affronter les forces autrichiennes, avec pour enjeu la conquête du nord de l’Italie. L’endroit était évidemment très mal choisi ! Dunant ne rencontra jamais Napoléon III, mais fut le témoin involontaire d’une des plus sanglantes batailles de l’histoire du continent européen. Le 24 juin 1859, dans la province de Mantoue, en Lombardie, on compta plus de 28.000 morts en dix-huit heures de combat. Dès la mi-journée, les rues, les places, les églises du village de Castiglione tout proche, se trouvèrent encombrées par 9.000 blessés de toutes nationalités : Français, Italiens, Allemands, Autrichiens, Slaves, Arabes. Dans la tourmente, Dunant se mua en infirmier de fortune car les moyens médicaux, à Solferino, étaient dérisoires : on comptait six médecins et quelques ambulances à chevaux pour une armée de 200.000 hommes !
Choqué par ce spectacle, Dunant sentit le besoin de l’exprimer dans un petit livre publié en 1862, « Un souvenir de Solferino », dans lequel il relata la brutalité des faits. Rarement un auteur avait décrit aussi crûment les tueries : « Ici c’est une lutte corps à corps, horrible, effroyable. Autrichiens et alliés se foulent au pied, s’entre-tuent sur des cadavres sanglants, s’assomment à coups de crosse, se brisent le crâne, s’éventrent avec le sabre ou la baïonnette ; il n’y a plus de quartier. C’est une boucherie, un combat de bêtes féroces, furieuses et ivres de sang ; les blessés même se défendent jusqu’à la dernière extrémité, celui qui n’a plus d’arme saisit à la gorge son adversaire, qu’il déchire avec ses dents. [...] L’artillerie lancée à fond de train [...] suit la cavalerie ; elle se fraie un passage à travers les cadavres et les blessés gisant indistinctement sur le sol : alors les cervelles jaillissent, les membres sont brisés et broyés, les corps rendus méconnaissables, la terre s’abreuve littéralement de sang, et la plaine est jonchée de débris humains. » Son but était d’émouvoir l’opinion. Il y parvint au-delà de toute espérance. 
On s’arracha l’ouvrage dans l’Europe entière. Dunant en profita pour demander des crédits à diverses nations et fonder en 1863, avec quatre amis (un général, un avocat, et deux médecins), le Comité international de secours aux militaires blessés. 
Le 28 octobre de la même année, après une conférence mondiale tenue à Genève, il fonda la Croix-Rouge.
En 1901, on attribua à Dunant le premier prix Nobel de la paix
Son premier souci fut de réclamer un statut de neutralité pour les soignants, les hôpitaux et les ambulances au cours des conflits. Mais, alors que son audience grandissait, sa vie bascula soudainement. 
En 1867, le Crédit genevois, dont il était resté administrateur, fit banqueroute. Or à l’époque, surtout dans la position qu’occupait Dunant, la faillite était honteuse. Sa démission de la Croix-Rouge, bien qu’il en ait été le premier fondateur, fut immédiate. Il disparut complètement de la scène publique. On signala sa présence à Londres en 1875, où s’était tenu un congrès sur l’esclavage des Noirs. Puis plus rien. La rumeur en fit un vagabond, puis un mendiant. Enfin, on colporta le bruit de sa mort. Pourtant, en 1886, un journaliste suisse retrouva sa trace dans la chambre n°12 d’un hospice de Heiden, en Suisse, tout proche du lac de Constance. L’article qu’il rédigea connut un grand retentissement. Des lettres de soutien affluèrent de toute l’Europe, dont une écrite de la main du pape Léon XIII. La gloire rattrapa Dunant. En 1901, on lui attribua le premier prix Nobel de la paix. Neuf ans plus tard, il s’éteignit à Heiden, à l’âge de 82 ans.
Depuis plus de cent cinquante ans, la Croix-Rouge s’est acquittée de sa mission originelle, qu’elle a élargie à la création d’hôpitaux, de centres sociaux, d’équipes sanitaires. Elle a inspiré la plupart des organisations humanitaires, dont l’action s’adresse aux déshérités du tiers-monde, victimes de la guerre, de catastrophes naturelles ou de la misère. Ces associations sont les dignes héritières d’Henry Dunant, seul et premier en son temps à avoir éveillé la conscience des Etats, celle de ses contemporains, et donné à l’humanisme une dimension éthique internationale.
Article du Docteur Philippe Gorny
(Tous droits réservés)
Source : parismatch.com

Soignantes de la Grande Guerre (Photo SSRC-SAS)

Aucun commentaire: