"La Vie Hospitalière"

mercredi 2 février 2022

"Il y a eu une cassure" : comment vivent les soignants suspendus, quatre mois après ?

Suspendus depuis le 15 septembre dernier, des médecins, chirurgiens, infirmiers, aides-soignants et personnels des hôpitaux sont passés de la « guerre » à une drôle de grève malgré eux, pour avoir refusé de se faire vacciner en dépit de l'obligation de présenter un passe sanitaire ou vaccinal




"Professionnellement, j’essaye quelque chose d’assez incroyable qui est la gratuité", 

suspendu depuis le 15 septembre, les médecins s'adaptent.      Pixabay License




« Les méfiants, ni un passe vaccinal, ni un passe sanitaire ne les fera changer d’avis » affirmait Olivier Véran il y a un mois. Le ministre de la Santé et des Solidarités semble avoir raison, la majorité des soignants qui nous ont confié leur témoignage continuent de refuser l’injection malgré la perte de leur salaire.


Nous avons contacté plusieurs de ces professionnels qui nous ont raconté leur quotidien en période de suspension : l’importance de lutter contre l’isolement, la difficulté de la dépendance financière, la déprime, puis l'espoir et la joie d’entrevoir un « nouveau monde » prochainement. Ces entretiens ont été réalisés entre le 31 décembre 2021 et le 24 janvier 2022.


Une page se tourne


Pour Grégory Pamart, comme un symbole, la fin d’année 2021 était aussi la fin de son aventure de médecin dans la commune de Jenlain (1.000 habitants) dans le département du Nord. Le jour du réveillon de la nouvelle année, il venait de libérer son cabinet, quand nous l’avons contacté. Pour ce médecin généraliste, comme pour la plupart de ses confrères ayant pris position contre la vaccination obligatoire, hors de question d’accepter les conditions de travail qu’on lui impose.

La difficulté à garder son cabinet pour un médecin vient aussi du niveau des charges qu’ils continuent de payer, même si le cabinet ne peut plus recevoir de patient : « ça fait drôle, ça y est. J'ai dévissé les plaques, c'est une page qui se tourne. C’est un choix administratif effectivement, il y a les charges. 

C’est aussi un choix personnel, il y a aussi le rapport à moi-même : parce qu’on dit "les soignants suspendus", et c’est vrai que c’est une sensation d’être suspendu à quelque chose : pas tout à fait dans le vide, pas tout à fait en l’air. Et, donc tout pendant que je me sentais suspendu à ce fil je n’avais pas la sensation de pouvoir construire convenablement des choses pour l’avenir. J’avais l’impression d’être bloqué. »


Le médecin espérait en effet « reprendre son activité », il se voyait y travailler jusqu’à la retraite. Un sentiment d’« injustice » et d’avoir été empêché de pouvoir servir et d’aider les autres. Ce sentiment d’être coincé dans cette situation, les autres soignants interrogés le connaissent bien. Les médecins interrogés n’avaient pas repris leur activité mi-janvier, après quatre mois de suspension.


Bataille juridique et privation des aides à la précarité


Pour Stéphanie, infirmière, le malaise est aussi important : elle était en arrêt maladie depuis le 11 septembre, quatre jours avant l’instauration de l’obligation vaccinale des soignants. Elle pensait pouvoir passer entre les gouttes, mais finalement la soignante est suspendue et son arrêt maladie également, elle ne perçoit plus d’aide : « ce que je demande, c'est la reconnaissance de mon arrêt maladie, ils sont censés voir que j’étais en arrêt avant ma suspension. Et ce qu’ils marquent sur le papier est faux, on me dit que je suis suspendue le 13 septembre après un entretien effectué le 15. Il n’y a pas eu d’entretien, puisque j’étais en arrêt, et je pense qu’ils se sont trompés dans les dates, ils voulaient dire suspendue le 15 après l’entretien le 13, mais même avec ces erreurs administratives, on envoie des courriers, mais on ne peut pas faire valoir nos droits […] Avec le collectif dans lequel je suis, il faut faire un référé avec un recours en fond, on a essayé de gagner du temps, mais ce qu’on voit, c'est que c’est plus facile de gagner avec le référé avant la date de la suspension. On m’a dit ici dans l’association qu’à Paris où on est plus proche du pouvoir, les juges sont plus durs à convaincre qu’en province, donc pour l’instant, on n'a rien intenté, l'association a peur de la corruption des juges. Quand vous entendez ça, vous n’imaginez pas dans quelle colère je suis. »


L’aide juridique se heurte à des obstacles : « on ne peut même pas porter plainte parce que si l'on perd, il faut pouvoir payer les avocats et les intérêts à l’autre partie. Déjà qu’on est sur un fil, on ne peut pas tout se permettre », témoigne un autre soignant.


Vivien, personnel des hôpitaux, a aussi été déçu par l’impuissance face à la justice : « je suis toujours en procédure, par le biais de deux avocats. Avec le premier, on a fait un référé "suspension en urgence" qui a carrément été rejeté par la juge des référés d’Orléans, elle n'a même pas lu le réquisitoire, elle l’a rejeté en bloc. Ce genre de procédure a déjà été débouté dans d’autres régions, et maintenant ils s’appuient dessus pour rejeter immédiatement les nouvelles plaintes qui leur arrivent. On est convaincu que la juge nous aurait donné raison, si elle avait juste accepté de lire le référé ».

Pour les infirmiers et aide-soignants, entre autres, les salaires plus bas rendent la survie en temps de suspension encore plus difficile que pour les chirurgiens et médecins. Les aides leur sont également refusées ou rendues difficiles d’accès lorsqu’ils veulent avoir accès au RSA ou aux autres aides à la précarité. Vivien s’appuie sur les aides au logement : « avec notre fille, on a les aides de la Caf, mais après avoir payé le loyer, on n'a plus rien pour manger, donc… Pour le RSA, normalement on doit y avoir droit, j’ai rendez-vous avec un agent pour cela, donc on verra ce que ça donnera. »


D’autres soignants contactés ont déjà obtenu ces rendez-vous et ont été rejetés, les agents de ces caisses d’allocations se montraient « sévères », selon une infirmière, lorsqu’ils traitent le dossier d’un « non-vacciné ».


Vivien a la particularité d’avoir été handicapé après un grave accident survenu plus d'un an avant l'obligation vaccinale. Il ne peut plus reprendre de travail comme il le souhaite, et la difficulté de se retourner est encore plus grande pour ce travailleur des établissements de santé : « ils nous proposent des rendez-vous pour trouver des solutions, mais ces rendez-vous sont stériles parce qu’ils ne comprennent pas nos choix ».


Les soignants face aux alternatives


Au téléphone, on entend leurs enfants en arrière-plan. Si la situation est stressante, ces médecins ou infirmiers se retrouvent beaucoup plus disponibles pour leur famille que lorsqu'ils étaient en activité avec des emplois du temps prenants. Néanmoins, c'est une insuffisante consolation : on sent que le sujet n’est pas là. Si leur corps est à la maison, l’esprit est ailleurs.


Plusieurs médecins, dont nous respectons l’anonymat, nous confient qu’ils ont eu « l’opportunité » de faire des « faux passes », ce qui leur aurait permis de reprendre le travail. Ces soignants ont fait le choix de se soumettre à leur suspension. Par principe, par peur d’être dans l’illégalité, ou parce que la cassure est trop grande, et qu'ils ne se voient pas retourner dans le « monde d’avant » : « même si l'on y retournait, ce ne serait plus pareil, on se demanderait ce que les élus vont nous pondre la prochaine fois. Même si l'on reprenait, on ne serait pas à l’aise. »


À noter, que même les « collègues » qui ont attrapé le covid ces derniers mois, ont pu retourner dans les établissements de santé exercer leur activité, grâce au certificat de rétablissement. Stéphanie souhaite également avoir ce « Graal », qui permettrait de reprendre le travail : « mais apparemment le virus ne passe pas par nous. On espère vraiment l’avoir, même pour ma fille. Après avoir vécu la peur d’en mourir en mars 2020, aujourd’hui on sait que la dangerosité est tellement faible, qu’on espère pouvoir le contracter pour ensuite avoir la paix pour six mois. » [NDLR : depuis, il a été annoncé que le certificat de rétablissement ne vaudrait plus que pour quatre mois.]


Un retour au travail compliqué pour les nouveaux vaccinés


D’autres soignants ont fait le choix de l'injection, pour pouvoir reprendre leur activité « des choix alimentaires », pour ceux témoignant. Ceux qui confient avoir pris cette décision à contre-cœur préfèrent rester discrets et n’ont pas souhaité témoigner, à l’exception d’un pompier que nous avions reçu.


Ce pompier était très engagé dans la lutte pour faire valoir ses droits, et cette vaccination n’est pas un retournement de veste pour lui. Un choix du cœur : ému, il nous explique qu’il ne pouvait pas sacrifier sa vie et son foyer pour lequel il a si durement travaillé : « j’appelle tous ceux qui hésitent à ne pas céder. Moi j’ai grandi dans les cités et là j’ai la cinquantaine, je suis papa depuis que j’ai 45 ans, j’aurais pu continuer le combat, mais cela aurait signifié vendre la maison et tout. On en a beaucoup parlé avec ma femme et on a choisi d’arrêter. Je travaille en tant que pompier, et j’ai un autre poste dans le soin à l’hôpital, mes diplômes sont dans ce milieu-là, je ne pouvais pas me reconvertir facilement. Mais ça fait mal, les deux choix faisaient mal… »


Ce pompier nous explique son avis sur les vaccins anti-covid, dans lesquels il n’a aucune confiance, et appelle tous les autres soignants suspendus à poursuivre le combat. Lorsque nous lui demandons s’il a le sentiment de s’être fait « violer », il répond sans hésitation : « ah oui, complètement, j’ai le sentiment de mettre fait violer, ni plus, ni moins, le gouvernement nous viole avec cette obligation ».


L’intéressé poursuit que la reprise du travail n’a pas été facile : « je ne me sens plus lié à ce travail, il n’y a plus la joie de le faire comme auparavant. Quelque chose a été cassé, il n’y a plus la passion. Je n’y vais plus le matin en me disant qu’on va faire ci et ça, je me sens à moitié vide quand j’avance. »

Un couple de soignants, elle infirmière, lui chirurgien, tous deux suspendus, expliquent ce qu’ils voient de leurs confrères ayant repris le travail : « Il y en a un qui a repris le travail grâce au certificat, donc lui on ne l’embête pas, mais il y a une autre médecin qui a été arrêté longtemps. Là quand elle a repris, les collègues de son service ne lui ont pas fait de cadeau. C’est même pire, ils ne croient pas dans son passe, ils sont persuadés qu’elle a fait un faux pour reprendre le travail. Après quelques semaines de boulot, elle a dû se mettre en arrêt maladie pour dépression. Cette pression au travail, plus le mal-être d’être vaccinée contre son gré, ça a été trop dur ».


Un des médecins interrogés confie sur ces retours au travail : « j’ai même beaucoup de patients me disent qu’ils n’ont pas eu le choix, c’est important pour moi de rappeler qu’on reste toujours acteur. Et, si l'on refuse, on rejette la responsabilité et finalement, on le vit encore plus mal. »


Construire dans un "nouveau monde" plutôt que retourner en activité


Pour le couple, l’idée de reprendre le travail n’est pas d’actualité : « On a complètement changé notre vision, on se dit maintenant qu’on soigne mal les gens depuis X années, on pourrait utiliser d’autres traitements pour soigner, et là on est tombé dans la surmédicalisation, Big Pharma et tout, cacheton-cacheton-cacheton et puis hop. Ce n'est pas ça, la vie, après réflexion. »


Les médecins suspendus deviennent résistants, et s’organisent autrement : « aujourd’hui, on est indépendants avec mon mari, on n'a plus d’enfant à charge, on vit autrement avec cette suspension. On a rencontré beaucoup de gens aux manifs dont une association, le CLP où on est allés, où on est mille maintenant. 

On a rencontré plein de monde avec des vraies valeurs, qui sont humains, et ça change, avant la suspension on ne connaissait pas ça, on était dans le travail toute la journée, après on rentre, on dort. Là, on découvre d’autres choses, vraiment très riches. Des gens avec divers métiers. 

On voit bien qu’il y a des choses qui bougent et pendant ce temps, nous, on s’investit dans ces réseaux d’entraide. C’est ça qui nous fait, non seulement tenir, mais en fait on est beaucoup plus épanouis, on est en accord avec ce qu’on veut. Et un nouveau monde, c’est pas mal. »

Le Dr Pamart partage pleinement cette vision de la société de demain : « Professionnellement, j’essaye quelque chose d’assez incroyable qui est la gratuité, c’est-à-dire que j’ai continué à soigner des patients, mais sans frais. Parce que dans l’échange marchandisé, vous perdez toujours quelque chose, quand il faut donner de soi contre de l’argent, selon moi on s’appauvrit. Pour moi, c'est un vrai plaisir de soigner les gens, de savoir qu’ils vont mieux, de savoir que j’ai fait ce qui est bon de faire. La médecine, c'est servir, et je suis heureux quand je sers. »


Une autre lueur d'espoir, celle d'une soignante suspendue, qui après avoir confié sa colère, son désarroi et sa peine sur son compte Twitter, relate sa reconstruction et les étapes de son nouveau départ. Le cœur lourd comme tous ceux qui ont été privés de leur métier, de leur vocation, marqués par une grande violence et un profond sentiment d'injustice, mais les promesses d'une nouvelle vie qui se dessine, appuyée sur la certitude d'avoir été fidèle à ses convictions et sur l'entraide qui vient compenser l'amertume.









Source : francesoir.fr

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