"La Vie Hospitalière"

mardi 7 janvier 2020

Première greffe de l'utérus en France : les médecins confiants pour la suite


Près d'un an après la première greffe d'utérus en France, l'équipe de l'hôpital Foch de Suresnes s'apprête à accompagner sa patiente dans sa future grossesse.
Elle va bien. Très bien. Mais elle n’est toujours pas enceinte. «Le protocole de recherche a fixé un délai d’un an avant d’entamer une grossesse», nous raconte le professeur Jean-Marc Ayoubi de l’hôpital Foch à Suresnes (Hauts-de-Seine) qui a réalisé, en 2019, une première en France, avec cette transplantation utérine chez une femme de 34 ans. «Et nous sommes donc tenus de respecter les délais, même si on sait qu’au bout de six mois, il serait jouable d’y aller.»
C’était le 31 mars 2019. Une intervention millimétrée avec trois équipes (une pour prélever, une seconde pour greffer, et la troisième de réserve, au cas où). «Tout s’est déroulé comme prévu», nous racontait alors ce chirurgien gynécologue de 56 ans, chaleureux et tonique. Originaire du Liban, l’homme n’arrête pas. Il a fortement développé depuis dix ans ce service de l’hôpital Foch, pour en faire un des premiers centres de la reproduction de France. Et depuis des années, il est devenu, parallèlement, un des spécialistes de la robotique. C’est d’ailleurs grâce à cette technique que le prélèvement de l’utérus sur la donneuse a été réalisé.
76 greffes et 19 naissances
Petit retour en arrière. C’est en octobre 2014 qu’a été annoncée, dans la revue The Lancet, la première naissance d’un enfant né après une greffe d’utérus, en Suède, dans l’équipe du professeur Mats Brännström de l’hôpital de Göteborg. Depuis, ce sont plus d’une vingtaine d’équipes dans le monde qui y travaille. Lors du congrès de la société internationale de transplantation utérine qui s’est tenue à Cleveland aux Etats-Unis en septembre, il a été fait état de 76 greffes et 19 naissances, selon le Quotidien du médecin. «La plupart des femmes greffées ont un syndrome de Rokitansky-Küster-Hauser, c’est-à-dire qu’elles sont nées sans utérus, mais il existe d’autres indications, comme une ablation de l’utérus à la suite d’un cancer ou d’une hémorragie incontrôlable après un accouchement», analyse le professeur Ayoubi.
En France, trois équipes travaillent sur ce type de greffes, l’une est basée au CHU de Limoges, une autre à Rennes, et donc l’équipe de l’hôpital Foch. «Depuis le début», poursuit le professeur Ayoubi, «nous sommes en lien avec les Suédois. Nous sommes très proches, on pratique chez eux, on s’est entraînés chez eux. Et on leur a apporté notre technique de robotique pour le prélèvement.» Il ajoute : «Car c’est le prélèvement qui est très délicat. Les artères et les vaisseaux utérins sont par nature très fins, et il faut qu’ils soient prélevés au mieux, dans un état intact. Pour la dissection et le prélèvement, la robotique est d’une grande ­précision.»
Donneuse vivante
Aujourd’hui, dix mois plus tard, la receveuse française est en pleine forme. Atteinte du syndrome MRKH, elle n’a manifesté aucun phénomène de rejet. C’est sur sa mère, une femme de 57 ans, qu’avait été prélevé l’organe. «La quasi-totalité des naissances ont eu lieu à partir de donneuses vivantes», argumente le professeur Ayoubi. «Et c’est vrai que, dans ce cas, l’utérus est en meilleur état ; en plus, on peut programmer, prévoir. Alors que prélever sur une femme en mort cérébrale nécessite des organisations lourdes, avec des équipes de permanence. Mais à l’avenir, nous ne nous interdirons rien», précise-t-il. Lors du congrès de Cleveland ont ainsi été rapportées plusieurs naissances après des greffes à partir de donneuses décédées.
À Foch, on se prépare à d’autres greffes. La demande est là. On estime, en effet, qu’il y a chaque année environ une naissance de fille sur 4.500 touchée par ce syndrome MRKH. A ce premier groupe, il faut rajouter toutes les femmes qui ont eu un cancer et ont subi une ­hystérectomie. Il y a aussi celles qui ont dû subir une ablation de l’utérus après un accouchement. «Finalement, on ne sait pas le nombre exact, mais ce sont autour de 100.000 femmes en âge de procréer.» Or pour elles, il n’y a rien, aucune alternative, à moins de choisir l’adoption ou une gestation pour autrui (GPA), mais à l’étranger car cette pratique est interdite en France. «Nous avons près de 200 patientes en consultation, mais nous avons des critères de sélection très sévères, explique le professeur Ayoubi. Et une petite vingtaine est, aujourd’hui, susceptible d’être greffée.»
Ces femmes viennent, en tout cas, avec leur mère la plupart du temps, ou une belle-mère, et aussi parfois une amie comme donneuse. Celle-ci doit avoir entre 40 et 65 ans, et avoir déjà eu des enfants. «En mars ou avril, nous ferons une autre greffe», lâche le chirurgien. Ce sera aussi le moment où la première greffée recevra ses embryons, qui ont été conçus avant l’intervention.


Source : liberation.fr



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