"La Vie Hospitalière"

samedi 4 mai 2019

Professeur Michel Lejoyeux : " Le CHU est de moins en moins intouchable"


Chef de pôle à l'hôpital Bichat (Assistance publique - Hôpitaux de Paris), enseignant à Paris-Descartes et président du Syndicat des médecins des hôpitaux de Paris, le Pr Michel Lejoyeux, « secoué » après les évènements du 1er mai à la Pitié-Salpêtrière, souhaite prendre de la hauteur. « Il ne faut pas que cela télescope le sujet de la qualité de vie au travail et de la charge mentale considérable des soignants », recadre-t-il. 

LE QUOTIDIEN : Quelle a été votre réaction face à ce qui s'est passé mercredi à la Pitié-Salpêtrière ?
Pr MICHEL LEJOYEUX : C'est compliqué parce que, depuis, les informations ont beaucoup évolué. Je préfère être à distance des arguments et contre-arguments qui se font entendre. Intrusion ou pas intrusion, où était le cadenas, qui a ouvert la porte, la personne avait-elle un masque ? Le débat est très légitime mais ce n'est pas à moi d'en parler.
Surtout, cette polémique politique ne doit pas nous faire oublier, quoi qu'il se soit passé avant-hier, la charge mentale considérable des soignants, à l'hôpital en général et à l'AP-HP en particulier. On a un souci majeur, qui est la qualité de vie au travail des soignants, et je ne voudrais pas que ce défi se télescope avec l'affaire de la Pitié-Salpêtrière.

LE QUOTIDIEN : Quels sont ces sujets, qui risquent d'être occultés ?

Pr MICHEL LEJOYEUX : Les médecins, les infirmiers, l'ensemble des autres soignants, subissent au quotidien un manque de respect, mais aussi des horaires et des conditions de travail difficiles, et de façon générale une inquiétude sur leur avenir, l'avenir de l'hôpital. Tout cela est particulièrement vrai pour le personnel des urgences, et tous les services confrontés à la continuité des soins. La pression est constante, cela génère beaucoup de fatigue.
C'est le cas aussi dans plusieurs spécialités, où la concurrence entre le public et le privé est particulièrement rude et où on manque de praticiens suffisamment qualifiés comme la chirurgie. Là encore, il y a un stress considérable, car on n'a pas assez de praticiens par rapport aux besoins.
Enfin, je pense aussi à toutes les spécialités dont les conditions d'exercice sont en train de changer – celles dont le nombre d'internes dans les services diminue drastiquement, comme la gériatrie, les services de médecine en général, la biologie médicale, et toutes celles à qui l'on demande un virage ambulatoire, sans leur en donner les moyens.
Notre service public hospitalier a besoin d'être défendu et protégé. Je trouverais terrible que nos difficultés, mais aussi nos projets, soient occultées par des aspects politiques, extra-médicaux. Cela doit être traité indépendamment des moments où il se passe quelque chose médiatiquement. Il ne faut pas que l'arbre cache la forêt.

LE QUOTIDIEN : Au-delà de l'affaire du 1er mai, pensez-vous que le CHU soit encore considéré comme un espace « intouchable » ?

Pr MICHEL LEJOYEUX : Le CHU est de moins en moins intouchable. D'abord parce que les patients qui attendent très longtemps aux urgences éprouvent, de manière légitime, un mécontentement vis-à-vis du CHU, et donc la pression augmente indiscutablement. La fonction médicale, qui était totalement respectée, et la fonction soignante de l'infirmière, sont de plus en plus battues en brèche.
À cela s'ajoute un manque de moyens, c'est la réalité. Il y a une diminution des financements, mais parallèlement une augmentation des exigences en qualité, en disponibilité. Or les soignants doivent pouvoir travailler dans des conditions de sécurité et de qualité des soins. C'est une demande qui est partagée par tous les corps sociaux, mais quand cela concerne les soignants, on se dit « est-ce qu'ils n'exagèrent pas un peu, ont-ils besoin de tout ça ? ».
Si vous dites que vous avez besoin de moyens pour construire des moteurs, on va a priori vous faire confiance, mais quand on en demande pour faire de l'accueil aux urgences, on remet en cause cette demande. Ce doute finit par être générateur d'inquiétude. Nous souhaitons un accompagnement de fond.

Article de Marie Foult





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