"La Vie Hospitalière"

jeudi 10 octobre 2019

Dans l'Eure, «dix cancers pédiatriques dans un périmètre aussi limité, ça ne peut pas être une coïncidence»


En conversant dans les couloirs du CHU de Rouen, deux mères de famille ont découvert qu'un nombre important de cancers pédiatriques s'étaient déclarés depuis deux ans à Pont-de-Larche et Igoville. Alertée, Santé Publique France dit «étudier le signal».
Ils ne sont pas huit mais dix. À minima. Charlène Bachelet, une jeune maman, a inscrit deux nouveaux noms sur sa liste, vingt-quatre heures après avoir médiatisé le résultat de l’enquête au doigt mouillé qu’elle a entamé dans les couloirs du service oncologie pédiatrique du CHU de Rouen. Non sans effarement. Selon son recensement, ils sont désormais dix enfants de moins de 15 ans à avoir déclaré, sur les deux dernières années, un cancer du sang ou du système lymphatique dans un rayon de moins de 10 km de son domicile de Pont-de-l’Arche (Eure). Dont six sur sa commune. Des leucémies dans la plupart des cas, mais pas seulement.
"Après avoir entendu mon témoignage, de nouveaux parents se sont manifestés," explique la maman de la Letty, 5 ans, soignée pour un neuroblastome. "On m’a signalé un autre cas à Pont-Saint-Pierre, un petit village situé à quelques kilomètres de chez moi, et celui d’un autre enfant en rémission dont les parents ont déménagé cette année de Pont-de-l’Arche. Pour moi, dix cancers pédiatriques dans un périmètre aussi limité, et sur une population aussi faible, cela ne peut pas être une coïncidence."
"L’ARS m’a pris immédiatement au sérieux"
Quand sa jumelle a été diagnostiquée à la fin du mois d’août, Charlène Bachelet avait mis son malheur sur le compte de la fatalité. C’était avant de discuter dans la salle d’attente du 4ème étage de l’hôpital Charles-Nicolle de Rouen avec une autre maman venue aussi accompagner son enfant pour une séance de chimiothérapie. Au cours de la conversation, toutes deux évoquent le cas d’une autre résidente de Pont-de-l’Arche. Charlène Bachelet en serait peut-être restée à l’étonnement si, fin septembre, elle n’avait croisé Coralie Jarguel.
Pour cette dernière, la fin du cauchemar est alors proche : son fils Marcus, qui, en avril, avait déclaré un lymphome anaplasique à grandes cellules, une forme très rare de cancer chez l’enfant, achève son cycle de chimio et la rémission est là. Encore coincée au CHU pour quelques heures, Coralie Jarguel engage la conversation. Apprend à Charlène qu’elle vit depuis six ans à Igoville (1.600 habitants), à 1 kilomètre à vol d’oiseau de Pont-de-l’Arche (4.220 habitants), les deux communes étant seulement séparées par la Seine. "Je lui ai raconté avoir découvert que le fils de ma voisine d’en face avait lui aussi déclaré, en 2005, un lymphome anaplasique à grandes cellules," précise Coralie Jarguel. "Et que, cette année-là, un ami de cet adolescent est mort d’une leucémie."
Pour Charlène Bachelet, policière municipale de profession, cela fait un peu trop de hasards malheureux. Elle décide d’alerter l’Agence régionale de santé de Normandie et réclame l’ouverture d’une enquête épidémiologique en bonne et due forme. "Ils m’ont pris immédiatement au sérieux," se félicite la jeune femme, "ils m’ont toutefois prévenu que ça risquait de prendre plusieurs mois." De fait, selon l’Institut national du cancer, l’incidence annuelle des cancers de l’enfant en France est estimée à 152,8 cas par million d’enfants. Donc un à deux cas pour 10.000 enfants…
«S’il y a une cause, on ne la connaît pas»
Contactée par l’ARS de Normandie, Santé Publique France dit «étudier le signalement». «On doit se rapprocher du registre national des cancers pédiatriques pour récupérer les informations cliniques et géographiques sur chacun des enfants malades, précise l’institution sanitaire. Cette étape nous permettra de confirmer le nombre d’enfants atteints, le type de tumeurs diagnostiqué ainsi que la période et la zone géographique concernées. Ce n’est qu’une fois ces informations analysées que l’on pourra savoir s’il y a ou non un cluster.» Sauf qu’il y a un hic : le registre national en question n’aurait pas encore fini de traiter les informations relatives à l’année 2017. Consciente du hiatus, l’ARS de Normandie a néanmoins pris langue avec le CHU de Rouen. Lequel devrait être sollicité pour fournir directement des données médicales sur les cas identifiés.
De son côté, pour compléter son alerte et garantir son suivi, Charlène Bachelet a, la semaine dernière, rencontré les élus locaux : les maires de Pont-de-l’Arche, d’Igoville mais aussi d’Alizay, village limitrophe d’Igoville, où sont implantées beaucoup d’entreprises industrielles, potentiellement polluantes. " Leur première réaction, ça a été la stupéfaction," se souvient la jeune femme. " À mon grand soulagement, tous m’ont assurée de leur appui complet dans mes recherches et mes démarches. Ils m’ont même proposé de l’aide pour créer une association si besoin était de mener des analyses complémentaires. Pour trouver un éventuel lien entre tous ces cancers pédiatriques déclarés. Cela va être compliqué," reconnaît la jeune maman." Pour le moment, le seul point commun, c’est le lieu. S’il y a une cause, on ne la connaît pas. À priori, ce n’est pas l’eau, Igoville et Pont-de-l’Arche n’étant pas sur le même réseau de distribution. Cela peut-il avoir un rapport avec les rejets des entreprises du coin ? Avec l’épandage ? Une pollution de l’air ? Du sol ? On n’en sait rien."
Pour l’heure, la population de Pont-de-l’Arche ne semble pas s’être trop émue de l’affaire. " Il n’y a pas plus de monde que d’habitude à la permanence du maire, "affirme le directeur général des services de la commune, qui ajoute prudemment : " Mais cela peut venir." 
Quoi qu’il en soit, les élus s’interrogent et l’enquête médicale est attendue. Charlène Bachelet a, elle,  décidé de ne pas attendre pour «faire tester» ses trois enfants.

Source : liberation.fr


Aucun commentaire: