"La Vie Hospitalière"

vendredi 27 septembre 2019

La maternité de Lariboisière, vitrine de «la honte»


Mois après mois, le nombre de parturientes relevant de l’Aide médicale d’Etat ou de la CMU grimpe. À bout, le personnel se sent démuni. 
Un appel comme «une bouteille à la mer». Quand sa collègue aide soignante a craqué, Tony Ferreira n’y a plus tenu. Le week-end dernier, il a écrit le désespoir. Le sien, celui des infirmiers, des sages-femmes, des assistantes sociales de la maternité de l’hôpital parisien Lariboisière, ce «Versailles du pauvre» comme on l’appelle dans les étages. Lundi, l’infirmier, quatorze ans de boutique dont les quatre dernières années à arpenter les couloirs du service gynécologie obstétrique, a fait signer son SOS à la volée : «À la 39ème signature, je me suis dit que cela suffisait pour donner l’alerte. Mais j’aurais pu continuer…» Tony Ferreira n’est pas syndiqué, pas politisé non plus. Simplement il n’en peut plus. «Tous les jours, je croise un ou une collègue avec les larmes aux yeux. Je suis déprimé. J’ai du mal à trouver le sommeil. Je suis exaspéré. À bout.» 
Lui qui a grandi dans une petite loge du XVIIIème arrondissement entre une mère concierge et un père ouvrier à la chaîne connaît les rudesses de la vie. Mais trop c’est trop. «Je ne suis pas un monstre. Quand je vois ce que je vois, je ne peux pas détourner le regard. Faire comme si de rien n’était.» Tony Ferreira n’exagère pas. Même au 5ème étage, celui de la direction, les voix s’étranglent au bout d’une demi-heure de conversation. Ce malaise général, Ferreira le résume, brutal : «La précarité, on n’en peut plus.»
«On est dépassés»
À la maternité de Lariboisière, la vitrine de la «honte» se trouve au rez-de-chaussée, dans l’ancienne petite salle d’attente des consultations pédiatriques, à deux pas du service des urgences générales. 
Ce mercredi soir, elles sont déjà sept, assises à même le sol avec leur nourrisson, entassées avec leurs sacs dans 13 mètres carrés. Abattues, silencieuses pour la plupart. Exceptée Djeneba. Son bébé au sein, la jeune Ivoirienne tente d’attirer l’attention. Elle a accouché le 23 août dernier. La veille, la directrice et les vigiles de l’hôpital sont passés comme tous les soirs entre minuit et une heure du matin pour relever les identités des femmes échouées là. Et lui rappeler à elle que le mois de «mise à l’abri» assuré par l’hôpital est arrivé à son terme. Demain, Djeneba et son nourrisson seront à la rue.
À l’étage de la direction, Marie-Christine Chaux, coordinatrice maïeutique de la maternité, tente de faire bonne figure. Et puis, la cuirasse se fend. «On est dépassés», admet la sage-femme. Mois après mois depuis janvier, le nombre de parturientes relevant de l’Aide médicale d’Etat ou de la CMU grimpe. «Aujourd’hui, cela représente 40% des femmes qui accouchent ici», précise Marie-Christine Chaux. 
En réalité, plus d’une sur deux, si l’on ajoute celles qui n’ont aucune couverture sociale. Au mois d’août dernier, plus du quart des futures mères accueillies relevaient du 115.
«Beaucoup d’hôpitaux se délestent sur nous»
«Le plus difficile pour le personnel soignant, c’est que ce sont des maternités tristes, douloureuses», explique la sage-femme. «Les bébés ne sont souvent pas souhaités et le lien mère enfant pas forcément accepté.» Et puis vient toujours ce moment où il faut signifier aux mères qu’elles doivent partir. Quand bien même les hébergements d’urgence sont partout saturés. «On est là pour les sauver, alors les mettre à la rue avec un nourrisson… glisse la sage-femme. Cela nous renvoie à notre impuissance. Mais on est à l’APHP, on ne fait pas de l’humanitaire.» Il y a un an pourtant, quand elle a dû s’y coller, Marie-Christine Chaux a, elle aussi, craqué. Depuis, la patronne du personnel non médical a obtenu que ni elle ni aucun membre du personnel n’aient à montrer la porte de sortie aux mères sans logis. Désormais, les cadres de la maternité se contentent d’inviter les patientes et leur bébé à «aller à l’accueil pour une prise de relais». À la directrice de l’hôpital de se charger de la suite…
Dans les étages, la désespérance se décline tous azimuts. «Pas de brancard en propre, pas de fauteuil roulant.» Des «fenêtres pas isolées», des «digicodes en panne», des «problèmes de sécurité». Surtout, il y a la pression. «Tout le monde est à bout. L’effectif n’est jamais au complet. En ce moment, on a une infirmière pour 21 patientes dont sept ou huit ne parlent pas français. Or on a des pathologies lourdes comme les diabètes, ou les VIH qui réclament d’être très vigilant sur les soins aux mères et aux bébés…» 
Du haut en bas de la maternité, un même message revient en boucle : il y a urgence à soulager Lariboisière. «Beaucoup d’hôpitaux se délestent sur nous des femmes qui relèvent de l’AME, du CMU ou du 115», constate Marie-Christine Chaux. «Il n’y a pas de problème à ce qu’on en prenne la plus grande partie. C’est notre histoire. On est là pour ça. Mais tout, on ne peut plus.»

Source : liberation.fr

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