"La Vie Hospitalière"

mardi 3 septembre 2019

Des médiateurs pour soigner les conflits internes à l'hôpital


Il a fallu plus de deux ans pour qu'un arrêt et un décret paraisse au Journal officiel, pour donner forme à une médiation destinée à «résoudre les conflits et les cas de harcèlement à l’hôpital public».
Un cardiologue qui se jette par la fenêtre de l’hôpital Pompidou à Paris. Un chirurgien qui revient le dimanche pour s’enfermer dans son bureau à l’hôpital Avicenne près de Paris, et se défenestre lui aussi. 
Une infirmière, dans l’est de la France qui met un terme à sa vie par une prise massive de médicaments dans son hôpital. Des cas dramatiques. D’autres le sont moins et se terminent par des mises à l’écart. Mais tous sont liés à des conflits mal pris en charge au sein même de l’établissement.
De fait, le monde hospitalier n’a jamais été très en pointe pour gérer ces conflits internes, préférant bien souvent le secret et le huis clos des services pour y apporter des réponses. Voilà qu’enfin, après plus de deux ans d’attente ont été publiés vendredi au Journal officiel un décret et un arrêté concrétisant la création des fonctions de médiateurs (aux niveaux national et régional) «pour résoudre les conflits et les cas de harcèlement à l’hôpital public et en Ehpad».
Edouard Couty est un homme patient. Ancien directeur des hôpitaux, magistrat honoraire à la Cour des comptes, l’homme connaît parfaitement le monde hospitalier. Nommé en mars 2017 médiateur national par l’ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine, il a attendu avec flegme que le dispositif, qui avait été conçu après une large consultation, se mette en place. «Il n’y a pas eu de blocages, mais le ministère de la Santé a eu beaucoup de textes importants à gérer, c’est pour cela que tout a pris du temps», note-t-il, diplomatiquement.
Médiateurs régionaux
Le dispositif est simple. Le but est donc de tenter de trouver une solution à un différend entre un ou plusieurs salariés de l’hôpital, opposés entre eux ou à leur hiérarchie, «dès lors que la situation porte une atteinte grave au fonctionnement normal du service», note l’arrêté. 
Des médiateurs régionaux (ou inter-régionaux) vont être nommés, «pour une durée de trois ans renouvelable une fois». Ils travailleront au sein d’une instance composée de dix membres (nommés sur leur proposition) qui les épauleront pour traiter chaque dossier. L’agence régionale de santé (ARS) assurant le secrétariat. Le processus sera le suivant : dans le cas où au niveau local le conflit n’a pas trouvé de réponse, le médiateur régional est saisi par voie électronique.
«Aide-soignante, infirmière, médecin, cadre, chef de service… Cette possibilité est ouverte à tous les agents hospitaliers, à l’exclusion de ceux impliqués dans un conflit social», poursuit Edouard Couty. Après avoir accusé réception, le médiateur dispose de trois mois pour trouver une solution avec deux membres de son choix de l’instance régionale de médiation. «Les hospitaliers impliqués dans le conflit ont la possibilité de les récuser une fois, à charge pour le médiateur régional de désigner de nouvelles personnes pour instruire le dossier.»
Si le médiateur régional ne parvient pas à résoudre l’affaire, il peut alors saisir le médiateur national. Celui-ci prend alors la main. Il peut être aussi saisi par le ministère de la Santé ou le Centre national de gestion. A l’issue de chaque médiation, des préconisations sont ensuite formulées et un contrat est élaboré, accepté et signé par les personnels en conflit. Le médiateur l’envoie à la direction hospitalière ainsi qu’au président de la commission médicale d’établissement (CME) et au doyen si un universitaire est impliqué.
«Assurer une vraie confidentialité»
Ce dispositif, assez basique, va-t-il fonctionner ? En attendant les arrêtés ministériels de ce week-end, Edouard Couty a assuré, de fait, ce rôle de médiateur national, ayant auprès de lui une commission regroupant médecins, psychologues et directeurs d’hôpital volontaires et bénévoles. Et pendant deux ans, cela a été plutôt positif. «On a été saisis plus de 130 fois», raconte Edouard Couty. Il s’agissait aussi bien de désaccords sur les stratégies médicales de l’établissement que de tensions entre médecins, voire de questions de nominations. «Ce que l’on peut dire, c’est que plus la médiation intervient vite, plus nous sommes arrivés à trouver une solution et à faire signer un contrat entre les différentes parties». 70% des conflits se sont ainsi achevés avec un accord. «Il faut expliquer», insiste Edouard Couty, «parler, donner des garanties, montrer notre indépendance, notre neutralité, assurer une vraie confidentialité. Bref, ce qui est essentiel, c’est d’établir un lien de confiance avec les parties prenantes.»
La crise de confiance, symptôme de la crise actuelle. A l’heure où l’on évoque de plus en plus les tensions en série dans le monde de l’hôpital, y a-t-il, à ses yeux, beaucoup plus de conflits ? «C’est difficile à dire,» répond Edouard Couty. «Avant, ces conflits ne sortaient pas de l’hôpital. Maintenant, cela devient possible.» Pour le moins, cette ouverture paraît salutaire.


Source : liberation.fr


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