Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes MG France, estime à 9.000 le nombre des décès à domicile depuis le début de l'épidémie
Le médecin normand, à la tête de la principale organisation de généralistes, se bat pour que les libéraux soient en première ligne à partir du 11 mai. Il a aussi lancé un questionnaire par e-mail auprès des adhérents de MG France à travers le pays pour évaluer l’ampleur de l’épidémie en ville et estimer le nombre de personnes, pour l’instant inconnu, décédées chez elles.
Que montre l’étude, à laquelle ont participé plus de 2 300 médecins ?
Elle nous permet d’estimer qu’il y a eu environ 9 000 décès à domicile entre le 17 mars et le 19 avril. Ce chiffre très dérangeant confirme que la France est l’un des pays les plus touchés.
Pourquoi les généralistes sont-ils restés en deuxième ligne durant cette première vague ?
La place prise par la réanimation dans le traitement des formes graves a justifié la gestion initiale de la crise par les hôpitaux. Les hospitaliers ont mené, avec réactivité et dévouement, une guerre éclair contre cet ennemi invisible. De notre côté, nous avons pris en charge 1,8 million de malades – tous ceux atteints de formes plus légères –, même si ça a été beaucoup moins médiatisé. Mais le tsunami annoncé n’a pas eu lieu en ville ; on a plutôt connu une marée moyenne.
Pourquoi beaucoup de patients renoncent-ils à se soigner ?
La communication de crise du gouvernement, maladroite et incohérente, a découragé les gens de se rendre chez leur médecin traitant. Elle a vidé nos cabinets des patients qui en avaient le plus besoin. Ces dernières semaines, nous avons vu 40 % de personnes en moins : des malades chroniques ou nécessitant une prise en charge urgente. C’est une vraie perte de chance pour eux. On s’apercevra que, durant le confinement, certains patients sont morts chez eux, d’une crise cardiaque par exemple, sans avoir pu être soignés.
Participez-vous à la réflexion sur le déconfinement ?
Nous avons dû nous imposer pour participer à cette réflexion ! C’est un paradoxe car, comme la grippe, le Covid-19 est pris en charge pour l’essentiel en ville. Ça nous rappelle l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, quand les généralistes étaient tenus à l’écart de la vaccination, organisée de manière militaire dans de grands centres ! Aujourd’hui, les hôpitaux parisiens créent un système de surveillance des malades à domicile sans même informer les médecins traitants des patients concernés qu’une prise en charge a lieu. Veut-on édifier une nouvelle organisation parallèle ?
« Ces dernières semaines, nous avons vu 40 % de patients en moins »
Quel pourrait être votre rôle ?
Nous devons jouer un rôle central. La sortie du confinement n’est possible que si la diffusion du coronavirus est freinée de manière durable. Dès le 11 mai, le traitement des foyers d’infection redeviendra une priorité absolue. Aussi il faut qu’en cas de fièvre ou de toux nous puissions prescrire un diagnostic biologique par PCR dans un laboratoire de ville. Si le patient est très âgé ou ne peut se déplacer jusqu’au labo, une infirmière libérale pourra réaliser le prélèvement et son acheminement. C’est vital car le virus est très contagieux. Si nous demandons à nos patients positifs de s’isoler, ils le feront car ils nous font confiance. Leurs proches, que nous connaissons souvent, accepteront de rester à la maison en quarantaine.
Nous voulons aussi être associés aux enquêtes qui seront menées pour rechercher les cas contact. Cette mission ne doit pas échapper aux équipes de soins primaires.
N’est-ce pas plutôt la mission des enquêteurs des agences régionales de santé et de Santé publique France ?
C’est aussi la nôtre. Nous sommes présents sur tout le territoire ; nous connaissons l’environnement familial, professionnel et social des patients. Notre but est d’éviter la formation de nouveaux clusters ; c’est la seule façon de circonscrire l’épidémie, d’éviter un rebond. Enfin, nous pouvons également aider à la protection des plus âgés ou fragiles, particulièrement menacés par le virus. Nous pouvons les inciter et les aider à rester le plus possible chez eux. Nous pouvons aussi rassurer une personne de 70 ans en très bonne santé.
Article d'Anne Laure Barret
Source : lejdd.fr
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