"La Vie Hospitalière"

vendredi 25 septembre 2020

Démission du responsable des urgences du CHU du Kremlin-Bicêtre : "Je ne vais pas mourir à la tâche et dans l'indifférence de l'administration"

De toute façon, les hôpitaux tels qu'ils sont maintenant sont devenus dangereux. J'ai demandé que si je ne peux plus m'exprimer, de ne pas y être emmenée. Ils ont fait trop de dégâts dans ma famille et autour de moi. Car, si on se soucie des autres, on constate des horreurs. Voyez l'affaire Eliane Kabyle.

Responsable des urgences du CHU du Kremlin-Bicêtre, le docteur Maurice Raphael quitte ses fonctions, lassé de l'indifférence de sa direction. Rien n'a changé, dit celui qui avait déjà alerté il y a moins d'un an.

Le docteur Maurice Raphael est chef du service des urgences du CHU Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), au sud de Paris. Et il arrête. C’est fini. Il ne craque pourtant pas, il n’est pas en burn-out. Il dit simplement : «Cela suffit, rien ne change, la direction s’en fout, et je ne vais pas mourir à la tâche et dans l’indifférence de l’administration.» Le Dr Raphael vient d’annoncer sa démission de la chefferie d’un des services d’urgences les plus importants de l’Ile-de-France, près de 60.000 entrées par an. «Tous les matins, se retrouver avec au moins seize patients sans lit pour les accueillir, c’est trop, j’arrête.»

Et cet homme, apprécié de son équipe, raconte : «Depuis des années, on vit avec, on s’habitue à ces brancards, tout le monde trouve cela normal. Il vous manque des médecins, des aides soignantes, des infirmières ? On laisse faire.» «Ah si, ironise-t-il, la direction va faire un audit. Et après ? Rien se passe, c’est toujours le même constat : si cela marche mal, c’est que vous êtes mal organisé, et c’est en somme de votre faute.» Maurice Raphael se tait un instant : «La direction ne comprend pas, ils ne savent pas que les flux de patients aux urgences, c’est irrégulier. La vraie vie, ce n’est pas comme dans les livres. Nous, on s’épuise. L’équipe, qui s’entend très bien, est en train d’exploser de fatigue. Tout le monde s’en va. On a plus de dix médecins qui ont annoncé leur départ.»

Rien a changé

Point final. Ce qui est désespérant, c’est que l’histoire ressemble à un disque rayé. Car Maurice Raphael n’est pas un novice. Et sa lassitude ou ses craintes ne sont pas nouvelles. En décembre 2019, c’est lui qui, dans un courrier à sa direction générale rendu public, s’était alarmé, évoquant le «risque majeur d’événements graves» dans son service. Et il motivait, ainsi, sa mise en garde : «La situation pour les semaines à venir s’annonce extrêmement préoccupante. La privation de 100 lits avec une activité qui reste stable, voire qui augmente pendant les fêtes, conduit mathématiquement à un engorgement des urgences et avec pour résultat des patients dans l’attente de lits installés sur des brancards dans les couloirs.» La preuve ? «Le 23 décembre, quand je suis arrivé le matin, nous devions nous occuper de 35 patients sur des brancards, les voir un par un, leur trouver une place, ce qui prend du temps. Et pendant ce temps-là, le flux continue d’arriver et vous êtes toujours en retard.» 


Voilà. C’était il y a moins d’un an. Et c’était sans compter avec l’arrivée du Covid-19, quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, c’est le sentiment que rien n’a changé. «On travaille mal, avec un risque réel : les patients ne sont pas isolés, ils sont sur des brancards qui se touchent, ce n’est ni bon ni sain. Des patients vont attendre des heures avant que l’on ne leur trouve un lit d’hospitalisation. On leur doit au moins que leur attente se déroule dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité.» Avec son ami, le Dr Pierre Taboulet, ancien chef de service de l’hôpital Saint-Louis à Paris, ils ont montré dans une étude les effets délétères de l’augmentation du nombre de patients qui restent sur les brancards, faute de lits.

«Je suis prêt à travailler, même beaucoup, même trop»

Certains, pourtant, se sont voulus optimistes. Ils ont cru que le Covid allait changer les habitudes, modifiant les attitudes des uns et des autres, rendant ainsi l’administration plus à l’écoute, et les services plus solidaires entre eux. Ce n’est manifestement pas toujours le cas. «J’ai dû à nouveau rentrer de vacances pour pallier le manque de médecins», raconte Maurice Raphael. Mais là, cela a débordé. «Je suis prêt à travailler, même beaucoup, même trop. Mais au moins, qu’il y ait un peu de reconnaissance. Jamais la moindre personne de la direction n’est venue voir ce à quoi nous sommes confrontés. Jamais un remerciement, ni un signe.» La suite ? «Je leur ai dit que je démissionnais. Ils m’ont dit : "Bon." Rien d’autre. Je ne veux pas me détruire pour des gens qui n’ont aucune reconnaissance.» Maurice Raphael s’en va. Il dirigeait ce service depuis dix ans. «On a l’impression de n’être que du consommable.»

Article d'Éric Favereau




Source : liberation.fr

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