Malgré la polémique et les alertes, la prescription de la bithérapie de l'IHU associant azithromycine et hydroxychloroquine a été largement suivie en ville. Un bond de 7.000 % fin mars avec 10.000 patients
C'est ce qu'on pourrait appeler l'effet Raoult. Le 25 février dernier, l'infectiologue marseillais annonce dans une vidéo que "500 mg de chloroquine par jour pendant dix jours, c'est recommandé pour tous les cas positifs au coronavirus chinois !". L'ANSM* constatera, a posteriori, un pic de prescription en ville de l'antipaludéen le 27 février -deux jours plus tard- avec 450 prescriptions le même jour (contre 50 habituellement). Dans la semaine qui suit, alors que la France est entrée dans le stade 1 de l'épidémie, les cas se multiplient - on recense les premiers morts dans l'Oise - la peur du Covid-19 est grandissante. Et proportionnelle à la notoriété de Didier Raoult, qui multiplie les interventions et lance un essai clinique sur l'hydroxychloroquine cette fois, relayé dans de nombreux médias. Le 8 mars, nouveau pic de prescriptions sur les écrans radar.
La bronca ne tarde pas : de nombreux professionnels de santé dénoncent la bithérapie "marseillaise", les éventuels effets toxiques de la molécule comme la méthodologie des équipes de l'IHU. Force est de constater que les médecins détracteurs du Pr Raoult n'ont pas convaincu tous leurs confrères, qui ont prescrit en masse chloroquine, hydroxychloroquine comme l'antibiotique qui lui est associé à Marseille, l'azithromycine.
5.000 prescriptions pour le seul 18 mars
C'est le constat que l'on peut tirer d'une étude de pharmaco-épidémiologie menée par l'ANSM sur la dispensation de médicaments remboursés sur ordonnance en pharmacie d'officine depuis le début de l'épidémie en France. 466 millions d'ordonnances, soit 1,2 milliard de lignes de prescriptions concernant 51,6 millions de personnes du régime général, ont été passées au crible. "Le nombre de personnes avec délivrance sur ordonnance de chloroquine ou d'hydroxychloroquine a fortement augmenté, particulièrement en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, observent les auteurs de l'étude. Les délivrances d'hydroxychloroquine ont été plus tardives et plus massives que celles de chloroquine (la doctrine de l'IHU ayant aussi évolué entre-temps, ndlr). Ainsi un pic a été atteint le 18 mars" : près de 5.000 personnes, relevant du régime général, se sont vues prescrire sur ordonnance de l'hydroxychloroquine ce même jour. Au lendemain de l'annonce du confinement, les pharmacies des Français sont donc bien approvisionnées en Plaquénil ; ce chiffre s'explique aussi par une opération de stockage des malades chroniques traités pour un lupus ou de la polyarthrite rhumatoïde craignant de ne plus trouver leur traitement.
Reste que les médecins de ville dépourvus face à l'absence de traitement ont donc largement fait jouer la latitude qu'ils ont de prescrire un médicament en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM) pour traiter le Cov id-19.
Plus à Paris que dans les Bouches-du-Rhône
En tête des prescriptions de chloroquine, l'île de la Réunion (46 prescriptions pour 100.000 habitants contre 9,4 en Paca et 7,3 en Île-de-France). En revanche, la région Paca arrive en tête devant l'Île-de-France pour la délivrance d'hydroxychloroquine (47,1 pour 100.000 habitants contre 35,8) quand le Grand Est, "particulièrement atteint par l'épidémie, se situait juste dans la moyenne (24,9 pour 100.000)", notent les auteurs. À l'échelle départementale, on a plus prescrit à Paris (64,2 pour 100.000) que dans les Bouches-du-Rhône (57,5), le Var (41,4) ou la Corse-du-Sud (39,4). Face à la crainte de la rupture de stocks, les alertes de pharmacovigilance sur les risques encourus en cas d'automédication, le gouvernement a décidé de restreindre, par un décret le 25 mars, la prescription de la molécule au milieu hospitalier et aux seuls cas graves. Si on remarque un infléchissement pour l'initiation de nouveaux traitements à partir de la fin du mois de mars, les auteurs estiment néanmoins à 41.000 "le nombre de personnes supplémentaires (par rapport au nombre attendu, ndlr) ayant acquis sur ordonnance un traitement d'hydroxychloroquine (ou plus rarement de chloroquine)" entre le 16 mars et le 19 avril.
De même, 100.000 patients supplémentaires (par rapport au nombre attendu sur la même période) se sont vus délivrer l'antibiotique prescrit en association avec l'antipaludéen par l'Institut hospitalo-universitaire à Marseille. "L'association hydroxychloroquine et azithromycine, exceptionnellement utilisée avant l'épidémie de Covid-19, a bondi de 7.000 % pour atteindre environ 10.000 patients en ville" la dernière semaine du mois de mars.
Des patients jeunes en zone favorisées
À qui ces traitements ont-ils été prescrits ? À une population "relativement jeune" et majoritairement féminine : 62 % de moins de 60 ans, 57 % sont des femmes, note l'étude, qui relève également des disparités sociales. Les patients qui ont eu accès à l'hydroxychloroquine dans le cadre d'un traitement du Covid-19 sont globalement socialement plus favorisés. "Plus de 30 % d'entre eux résident dans les 20 % des communes les plus favorisées de France", relèvent les auteurs.Alors qu'à ce jour, aucun essai clinique faisant consensus ne permet de trancher le débat sur l'efficacité du traitement mis en place à Marseille, ces données révèlent que nombre de médecins n'ont pas attendu pour le prescrire en France.
Par Alexandra Ducamp
Source : laprovence.com
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