Débat « Le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad », pointe la défenseure des droits, Claire Hédon, dans un rapport qui formule une soixantaine de recommandations pour garantir leur « liberté ».
« Les résidents vaccinés, rien ne justifie qu’ils restent enfermés »
Sabrina Deliry, cofondatrice du Cercle des proches aidants en Ehpad
Aujourd’hui, la plupart des résidents d’Ehpad sont vaccinés, ce qui a poussé le ministère de la santé à assouplir le protocole à la mi-mars. Nous disposons de masques en quantité suffisante et les familles sont plus que familières des gestes barrières. Dès lors, comment expliquer que des résidents continuent d’être enfermés, sinon par la volonté de certains directeurs de tenir les familles à distance pour avoir la paix ?
Dans certains établissements, les visites en chambre ne sont toujours pas possibles. Proches aidants et résidents se retrouvent encore souvent dans le réfectoire, avec d’autres familles autour, dans un brouhaha qui rend le dialogue impossible, surtout quand la personne âgée a des problèmes d’audition.
Dans d’autres endroits, l’usage des vitres en plexiglas a encore cours, alors même que la ministre déléguée chargée de l’autonomie, Brigitte Bourguignon, a demandé leur retrait, les jugeant « épouvantables ». Ailleurs encore, ce sont les sorties à l’extérieur qui restent très encadrées, voire prohibées, au mépris de la décision du Conseil d’État, qui a suspendu l’interdiction des sorties.
Dans le même temps, les personnels, eux, peuvent entrer et sortir à leur guise, sans obligation de se faire tester, et alors même que seulement 30 % d’entre eux ont reçue une première dose de vaccin selon les chiffres établis par les syndicats.
« Peur des représailles »
Le problème, c’est que beaucoup de familles ne parlent pas, par peur des représailles. Elles craignent d’être mises à l’écart. Personnellement, j’ai dû faire une grève de la faim pour obtenir de voir ma mère, résidente d’un Ehpad public à Paris. Je peux désormais lui rendre visite deux heures, deux fois par semaine, contre une heure une fois par semaine avant. Pourtant, elle est vaccinée depuis un moment, tout comme moi, qui ai subi une greffe.
Avant l’alerte de la défenseure des droits, le rapport remis en février dernier par le philosophe et éthicien Fabrice Gzil insistait sur l’importance d’offrir un libre choix aux résidents d’Ehpad. On ne prend pas le temps de leur demander ce qu’ils veulent. Eux n’ont pas les réseaux sociaux pour s’exprimer, mais ce qu’ils nous disent quand on les écoute, c’est : « Aidez-vous, venez nous sauver ! » Ils ne meurent plus de Covid aujourd’hui, mais de chagrin ou de glissement.
Le retour des familles n’irait pas seulement dans leur intérêt, il soulagerait aussi le personnel. Les proches font souvent un peu de ménage dans la chambre de leur parent, ils participent à certains soins. En cela, ils sont une aide précieuse pour les infirmières et aides-soignantes, en sous-effectif chronique.
«Assouplir les restrictions, mais rester prudent »
Bertrand Decoux, directeur général de l’association Monsieur Vincent, qui regroupe 23 résidences d’accueil pour personnes âgées.
Chez Monsieur Vincent, pour redonner de la liberté à nos résidents, nous nous sommes concentrés sur la vaccination la plus large possible. Nous avons atteint un taux vaccinal très élevé (98 %). Mais malgré cette vaccination, la situation reste délicate dans de nombreux établissements, que ce soit dans nos résidences ou dans d’autres Ehpad de France.
Chaque direction doit s’adapter à un contexte pandémique local (le virus circule-t-il beaucoup dans le département ?), à la couverture vaccinale de l’établissement, résidents et personnels compris (nous atteignons en moyenne 70 % de vaccination parmi nos agents et soignants), à son architecture, son ergonomie (peut-on respecter la distanciation physique, aérer facilement les pièces ?), à son vécu (a-t-elle connu un épisode récent de contamination ?) Par conséquent, les situations peuvent varier d’un lieu à un autre.
Un vaccin qui n’empêche pas la circulation du virus
L’allègement des restrictions doit se faire, mais en restant accompagné de prudence. Les sorties, les visites des familles, les repas collectifs dans la salle de restaurant ont été rétablis… Mais nous restons très stricts sur les gestes barrière. Assouplissement ne veut pas dire relâchement.
Nous demandons la vigilance, car si le vaccin empêche les formes graves, plus contagieuses, il n’empêche pas que le virus circule et puisse éventuellement pénétrer dans nos établissements. Le risque, alors, serait d’avoir un foyer de contamination et là, il faudrait tout refermer. Comment trouver le juste milieu ? C’est compliqué. Il y a quelques semaines, l’agence régionale de santé nous a demandé de boucler l’un de nos établissements. Nous avons hésité et finalement, nous ne l’avons pas fait. Au nom de l’équilibre de nos résidents, pour éviter les syndromes de glissement.
Une solution de facilité
Mais pour certains directeurs, il est sûr que maintenir les restrictions peut aussi apparaître comme une solution de facilité. À tout boucler, vous prenez moins de risques. Que son Ehpad ait été, lors des précédentes vagues, très éprouvé ou au contraire, préservé, le traumatisme du printemps 2020 a laissé des traces chez tout le monde. Personne ne souhaite revivre cela.
Il convient aussi de rappeler que les directions des Ehpad sont responsables, pénalement, de ce qui se passe entre leurs murs. En cas de décès liés au Covid, elles sont susceptibles d’être poursuivies pour « mise en danger de la vie d’autrui ». L’équilibre entre sécurité et éthique de solidarité n’est donc toujours pas facile à atteindre. J’estime que chez Monsieur Vincent, nous avons encore deux trois résidences un peu trop fermées. Mais quelles que soient les décisions prises, il faut les communiquer et les expliquer clairement aux familles.
Par Jeanne Ferney et Alice Le Dréau,
Source : la-croix.com
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