"La Vie Hospitalière"

mercredi 13 novembre 2019

L'euthanasie ou la fin de vie ?

Dans deux livres autour de la fin de vie, un sociologue et un philosophe s'interrogent sur l'impasse actuelle en France.
Ils ne ressemblent pas, s’opposent même parfois. Depuis plus de dix ans, ils travaillent sur les situations de fin de vie. Et tous les deux viennent de publier un livre autour de l’euthanasie et de la bioéthique dite à la française.
Philippe Bataille est sociologue, directeur de recherches à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), spécialiste des vulnérabilités. Travaillant d’abord sur le cancer, il a montré avec justesse comment la maladie ne se résumait pas à sa guérison. Puis en 2012, il a publié À la vie, à la mort, qui décrivait comment le monde des soins palliatifs avait imposé ses règles, ses normes, puis ses valeurs, pour créer une «culture palliative» qui laissait au final peu de place au choix du patient. Emmanuel Hirsch, lui, est philosophe ; au départ militant dans la lutte contre le sida, il a bifurqué, et occupe depuis une place importante dans le monde de la bioéthique : il est devenu professeur d’éthique médicale et, surtout, a créé et dirigé l’espace régional de bioéthique Ile-de-France.
On tourne autour du geste et de l’intention du praticien
À les lire tous les deux, un point commun les unit. Ils se retrouvent sur le constat que la situation française en matière de fin de vie reste confuse, parfois hypocrite, ou plus simplement maladroite. Depuis vingt ans des débats sont certes organisés, des lois sont régulièrement votées, des histoires terribles marquent au passage les esprits comme celle récente de Vincent Lambert, et pourtant le sentiment de «mal mourir» en France persiste. Y aurait-il une malédiction à la française?
Dans son livre, Philippe Bataille retrace vingt ans de législations à la française, où à chaque fois domine sur le moment le sentiment qu’un équilibre a été trouvé, lequel est pourtant systématiquement remis en cause avant même qu’il n’ait eu le temps de s’installer. Pour ce chercheur, c’est le refus explicite d’accepter de donner (ou de demander) la mort qui embrouille tout le paysage, pour enfermer les uns comme les autres dans des jeux de rôle, où l’esquive de chacun est centrale. La dernière loi, dite Claeys-Leonetti, va ainsi autoriser la «sédation profonde et continue jusqu’au décès» sous certaines conditions, plutôt qu’une injection létale. Aux yeux de Philippe Bataille, on va tourner autour du geste et de l’intention du praticien : endort-il, ou donne-t-il la mort ?
Au final, c’est l’ambiguïté qui reste. «La mort naturelle sous sédatifs laisse perplexes bien des observateurs étrangers… Laisser mourir est la loi», poursuit Philippe Bataille. «Dépénaliser rétablirait la possibilité d’un consentement aux soins palliatifs qui sinon ne se discutent pas. Dépénaliser renforcerait la confiance dans la relation médicale et le dialogue patient-soignant. Et surtout dépénaliser offrirait un choix à l‘incurable qui n’en a plus vraiment.» Ou encore : «Endormir profondément leurre les malades dont les droits ne sont pas garantis. L’accompagnement palliatif modélisé en fin de vie fait se confondre l’euthanasie, le suicide assisté, l’agonie.» Bref, autoriser le faire mourir mettrait fin à l’ambiguïté actuelle, préjudiciable à tous.
«La volonté d’être présents»
Emmanuel Hirsch n’est pas sur cette analyse. Non sans conviction, il répète combien il est inquiétant à ses yeux que les questions autour de la fin de vie se résument à celle de l’euthanasie. Dans un ouvrage précédent, recueil de témoignages de fin de vie, il disait déjà : «Voilà des gens qui m‘ont transmis des valeurs. Quand on vieillit et qu’on a l’impression de ne plus exister socialement, on est dans une société sélective… Pour moi, ces gens ne mouraient pas, ils avaient la volonté d’être présents dans ce parcours chaotique.»
Il pointe les limites de ces débats législatifs : «Aucune loi, aussi libérale soit elle, ne saurait nous permettre de surmonter les dilemmes redoutés de notre confrontation personnelle à l’expérience intime et ultime d’une fin de vie.» Pour émettre ce vœu final : «Le temps est-il venu d’un acte politique pour conclure près de quarante années de discussion, parfois de polémiques ? Il ne s’agit pas tant de légiférer sur l’euthanasie que de penser ensemble l’environnement humain et social favorable à une fin de vie digne, respectueuse des préférences et des droits de chacun, attentive à éviter les discriminations, et donc inspirées des valeurs de notre démocratie.»
Pour le moment, ce n’est pas d’actualité, le gouvernement ayant exprimé le souhait de ne pas ouvrir le débat pour laisser, dit-il, le temps à la loi actuelle de s’installer.
Laisser partir, Editions de la Maison des sciences de l’homme, par Philippe Bataille.
Faut-il autoriser l’euthanasie ? aux Editions First, par Emmanuel Hirsch


Source : liberation.fr

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