"La Vie Hospitalière"

jeudi 14 novembre 2019

Dans les rues de Paris pour «sauver l’hôpital public en urgence vitale»


Le monde médical a défilé dans toute la France ce jeudi en raison notamment de conditions de travail détériorées et d’un manque de personnel. A une semaine du plan «conséquent» promis par Macron, 70 hôpitaux sont toujours en grève.
L’hôpital public déborde dans la rue. Ce jeudi, faisant preuve d’une solidarité rare dans un univers de la santé cloisonné et hyperhiérarchisé, médecins, infirmières, urgentistes, aides soignants, internes ou cadres hospitaliers ont répondu en masse à l’appel à la mobilisation lancé par les collectifs interhôpitaux et inter-urgences, soutenus par les syndicats nationaux et professionnels. 
C’est par milliers que blouses blanches, bleues et fluo ont battu le pavé à Paris, de Port-Royal jusqu’aux Invalides, mais aussi un peu partout en régions, pour clamer leur détermination à «faire pression sur le gouvernement» et l’impératif de «sauver l’hôpital public en urgence vitale». Une mobilisation aussi forte qu’inhabituelle qui n’est pourtant que la partie émergée de l’iceberg de colère : dans les 70 hôpitaux français officiellement déclarés en grève, une partie importante des personnels soignants ont été déclarés d’astreinte pour assurer la permanence des soins.
Chefs et médecins en tête
Présent en tête du cortège de la manifestation parisienne, Julien Taieb, chef du service de cancérologie digestive de l’hôpital Georges-Pompidou, où 100% des services sont en grève, illustre : «Deux médecins ont été assignés pour s’occuper de nos 79 patients en chimio. Ils vont avoir une sacrée journée, même s’ils savent qu’ils peuvent nous joindre à tout moment. En hôpital de jour, une infirmière sur neuf a été autorisée à manifester, les autres sont assignées.» La démonstration de force n’en a été que plus convaincante. C’est que les chefs de service et les médecins étaient cette fois en première ligne des banderoles déployées au fil de la manifestation parisienne. Prêts à témoigner à visage découvert d’un vécu hospitalier qui oscille entre casse-tête et cauchemar.
«Etre chef de service aujourd’hui, c’est être comme une lance à incendie qui passe son temps à éteindre les débuts de feu qui se déclarent un peu partout», explique le professeur Taïeb. «Il faut bien comprendre l’urgence : les infirmières se barrent et on n’arrive plus à en recruter. Il faut injecter massivement des moyens dans l’hôpital, et revaloriser les salaires des paramédicaux. Ce n’est pas une revendication corporatiste. Les médecins sont les premiers à la soutenir alors même qu’ils trouveront toujours du boulot ailleurs.»


Plus loin dans le cortège, Sophie Demeret, responsable du service de neuroréanimation médicale de la Pitié-Salpêtrière, décrit par le menu les difficultés qui alimentent aujourd’hui la gronde : «Pour faire tourner les seize lits de mon service, il faut 40 paramédicaux. Aujourd’hui, je n’en ai plus que quinze. Je suis obligée de fermer deux à quatre lits sur seize depuis six mois faute de personnel soignants», s’indigne-t-elle, estimant de son «devoir d’alerter» l’opinion. «Sur les cinq infirmières de garde la nuit dernière, deux seulement étaient de mon équipe, deux autres étaient intérimaires donc sans connaissance du service et des patients, et la dernière faisait partie du pôle commun aux services. Sur les deux aides-soignants qui auraient dû être présents, une seule était là. Bilan, hier soir à 22 heures 30, aucun des malades du service n’avait eu à manger, et mon aide-soignante débordée culpabilisait…»


«Investir plus fortement»
Sous la banderole de l’hôpital Necker, la même colère affleure : «Faute d’infirmières et d’aides-soignants en nombre suffisant, on doit refuser d’hospitaliser et d’opérer des enfants», s’emportent en chœur le professeur Olivier Goulet, chef du service de gastropédiatrie et ses deux collègues, les professeurs Florence Campeotto et Samira Sissaoui. «Les infirmières veulent prendre soin des patients, pas distribuer des soins !» Infirmière depuis quinze ans au service hématologie de l’hôpital Saint-Louis, Julie témoigne elle aussi de la dégradation du quotidien des soignants et des malades : «On a longtemps été parmi les mieux lotis, mais aujourd’hui des patients atteints de cancer attendent des heures dans les couloirs. Ils n’y meurent pas, mais presque. Pour un hôpital comme Saint-Louis, spécialisé en cancérologie, c’est triste.»
Au fil de la manif, c’est la même «inquiétude profonde» qui se décline sur un fond sonore saturé par les sifflets, les cornes de brume et les sirènes. 
Dans la soirée, le collectif inter-hôpitaux réuni en assemblée générale dans un amphi bondé de la Pitié Salpétrière a voté avec force la poursuite du mouvement et appelé à «intensifier la grève administrative» et celle du codage des actes médicaux dans l’ensemble des services. 
De son côté, Emmanuel Macron, en déplacement à Epinay, n’est pas resté insensible. Assurant avoir «entendu la colère et l’indignation» du personnel soignant, le chef de l’État a dit «devoir assumer d’investir plus fortement que nous avions envisagé de le faire». Et de promettre un plan «conséquent» et des «décisions fortes» dont le Premier ministre, Edouard Philippe, détaillera mercredi «le montant, l’ampleur, les modalités techniques et le calendrier». Est-ce à cet instant que la fanfare du cortège hospitalier a entonné Manureva ?


Source : liberation.fr


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