«Nos politiques anti-pandémie sont incompatibles avec la démocratie», affirme cet épidémiologiste de Stanford, qui a réuni des dizaines de milliers de scientifiques opposés aux mesures sanitaires. Leçons fortes pour un «plus jamais ça»
« J’ai payé très cher de m’être exprimé, mais si c’était à refaire, je le referais. » © DR
Professeur Bhattacharya
«Cette censure fondée sur la peur n’est pas un outil de gestion d’une pandémie»
Jay Bhattacharya est professeur à la faculté de médecine de l’université de Stanford. Médecin, épidémiologiste, économiste de la santé et expert en politique de santé publique, spécialisé dans les maladies infectieuses et les populations vulnérables. Ses positions anti-confinement lui ont valu d’être ostracisé par l’université de l’Ivy League qui l’emploie et blacklisté par Twitter. L’Impertinent est parvenu à obtenir un entretien privilégié avec ce scientifique de premier plan dont les sacrifices ont permis une expertise capitale pendant la crise Covid.
Mèle Debey : À quel moment vous êtes-vous rendu compte que quelque chose clochait dans cette crise?
Dr Jay Bhattacharya : C’était au tout début de la pandémie, vers janvier ou février 2020. Ayant écrit sur la grippe H1N1 en 2009, je me suis souvenu d’une littérature qui attestait que les premières estimations du nombre de morts dans cette pandémie étaient très exagérées. Il y a eu une série d’études effectuées pour mesurer la prévalence des anticorps dans la population. En 2009, pour chaque cas identifié, il y avait un millier de personnes munies d’anticorps. Ce qui suggérait qu’elles avaient guéri de leur infection.
Le taux de mortalité, initialement estimé à 4 ou 5%, était en fait de 0,01%. Donc 99,99% de chance de survivre à la grippe porcine.
Je me suis demandé si cela pouvait être le cas avec le Covid également. On n’en savait rien, car personne n’avait fait d’études pour mesurer les anticorps. C’est donc la première pensée qui m’a traversé l’esprit: que les estimations publiques n’étaient pas basées sur des données, mais sur des suppositions qui n’avaient pas été testées ni démontrées. Les mêmes erreurs qui ont été commises au début de la pandémie H1N1.
La pandémie est-elle terminée?
La décision de déclarer la fin d’une pandémie est politique et non purement épidémiologique. Certaines régions du monde n’ont pas encore pris cette décision politique.
Qu’est-ce qui vous pousse à continuer le combat désormais? Alors que vous pourriez faire autre chose.
J’aimerais bien! La réaction politique à la pandémie a causé d’énormes dommages aux enfants, aux pauvres, aux travailleurs du monde entier. La prise de décision par les plus hauts responsables politiques a tout simplement ignoré ces populations et a adopté des moyens qui, à mon avis, sont profondément contraires à l’éthique. La panique, la moralisation de la maladie, la création de politiques discriminatoires pour séparer les bons citoyens des parias.
«Les politiques de lutte contre les pandémies que nous avons suivies ne sont pas compatibles avec la démocratie»
Toutes ces politiques ont, je crois, fondamentalement violé l’éthique de la santé publique. Et l’idée même du confinement était malavisée dès le départ, selon moi. Je pense que nous devons revoir la façon dont nous gérons les pandémies à l’avenir. En tirer les bonnes leçons. Et c’est pourquoi je suis toujours impliqué. Je veux aider les gens à comprendre que les politiques de lutte contre les pandémies que nous avons suivies ne sont pas compatibles avec la démocratie libérale et que nous risquons à tout moment, en cas de nouvelle épidémie de maladie infectieuse respiratoire, de voir nos valeurs fondamentales mises à mal.
Je pense donc que la science est au cœur du sujet, mais qu’elle n’aurait pas dû être la seule à faire partie de cette conversation. D’autres valeurs, celles des droits de l’homme, de conduite éthique sont également importantes. Y compris pendant une pandémie, peut-être même surtout pendant une pandémie.
Je veux travailler au rétablissement de l’éthique de la santé publique sur une base plus solide et plus compatible avec la démocratie libérale.
Vous pensez que c’est possible? Vous y croyez?
Oui. Je pense que c’est possible. Selon moi, ce qui s’est passé est dû en grande partie à la peur et aux données erronées. Un très petit nombre de bureaucrates de la santé publique ont dominé la conversation, réduit les critiques au silence, ont fait croire à un consensus scientifique en faveur de leur vision de la gestion et du management.
Ce qui compte pour moi est de m’assurer que d’autres voix sont impliquées lorsqu’une pandémie arrive, qu’elles ne sont pas marginalisées. Que d’autres personnes que ce groupe étroit de bureaucrates participent également à la prise de décision. Cette censure fondée sur la peur n’est pas un outil de gestion d’une pandémie.
Je pense que si nous convainquons la population que la voix de chacun a sa place dans la conversation, alors nous gagnerons.
Pour revenir à Stanford. Vous y enseignez toujours ?
Oui, tout à fait. Je viens d’ailleurs d’enseigner un cours d’économie de la santé au trimestre dernier. J’y enseigne depuis 22 ans. Mais ces trois dernières années ont été d’une ahurissante difficulté pour moi là-bas.
Pourquoi?
On peut considérer la liberté académique de deux façons. L’une est une vision très étroite, où les gens ne sont pas renvoyés pour avoir des opinions opposées à celles d’un responsable académique. En ce sens, Stanford a respecté les normes de la liberté académique, car je n’ai pas été licencié. Et c’est bien, je suppose.
«Stanford n’a pas réussi à protéger la liberté académique»
D’une manière plus générale cependant, je dirais que Stanford n’a pas réussi à protéger la liberté académique. Il y avait un certain nombre d’éminents professeurs à Stanford qui s’opposaient aux confinements, ou qui avaient des idées différentes de celles de l’orthodoxie régnante. Des gens comme John Ioannidis, le scientifique très célèbre qui s’est opposé au confinement. Michael Levitt, un prix Nobel, bien sûr Scott Atlas, et quelques autres.
Plutôt que d’accepter le fait que les professeurs n’étaient pas d’accord entre eux sur le bien-fondé des mesures et d’organiser des séminaires ou des conférences où tous les points de vue étaient respectés, Stanford a créé une atmosphère propice à la diabolisation des personnes qui s’opposaient à la politique dominante.
Cela a rendu ma vie très difficile. C’était un environnement professionnel très hostile. À un moment j’avais même peur de me rendre physiquement sur le campus.
À ce point?
Non, cela s’est amélioré. Mais en 2020 et 2021, c’était terrible. Il y a notamment eu une campagne d’affichage m’accusant de tuer des gens en Floride à cause de mon plaidoyer pour l’ouverture des écoles.
Donc Stanford a cessé de se comporter comme une école
Ce qui aurait dû normalement se passer, de la part d’une institution académique vraiment attachée à la liberté académique, c’est l’accueil d’une discussion ouverte.
Je vais juste vous donner un exemple: normalement, les écoles de médecine accueillent chaque semaine quelque chose appelé Grand Rounds. C’est là qu’un membre présente ses recherches ou ses idées à toute la faculté de médecine. Chaque semaine, pendant toute la durée de la pandémie, il y a eu 150 conférences consacrées à la politique et à la médecine autour du Covid. Mais pas une seule fois John Ioannidis, Scott Atlas, Mike Levitt ou moi-même y avons été invités. Ni aucune autre personne opposée au confinement d’ailleurs.
«Il n’y a jamais eu de consensus scientifique en faveur du confinement»
Stanford a tout fait pour marginaliser nos opinions. Alors qu’en fait, je pense qu’elles représentaient un grand nombre de scientifiques dans la communauté en général, même en dehors de Stanford.
Statistiquement, ces opinions n’étaient donc pas marginales?
Le fait est qu’il n’y a jamais eu, selon moi, de consensus scientifique en faveur du confinement. Quand nous avons écrit la Déclaration de Great Barrington en octobre 2020, Martin Kulldorff de Harvard, Sunetra Gupta d’Oxford et moi, des dizaines de milliers de scientifiques l’ont signée presque immédiatement.
Beaucoup de ceux qui étaient opposés aux confinements ont tenu leur langue parce qu’ils avaient peur d’être soumis au genre de diffamation et de diabolisation que j’ai affronté, ainsi que d’autres que moi qui ont également parlé.
Je pense que des bureaucrates scientifiques très puissants comme Anthony Fauci abusent de leur position. Ils contrôlent le financement des scientifiques. Comme vous le savez, Tony Fauci est le chef de l’Institut national de contrôle et de financement des maladies. Il est assis sur 6 milliards de dollars. Francis Collins, le chef de l’Institut national de la santé (NIH), est assis sur 45 milliards de dollars d’argent qui va au travail des scientifiques. Mais pas seulement au travail de laboratoire. Également au statut social des scientifiques.
Par exemple, je suis un professeur titulaire à Stanford. Pour être titularisé, je devais obtenir une grosse subvention du NIH. Si vous n’obtenez pas ces subventions, vous n’avez pas de promotion, vous n’obtenez pas le statut social qui vous permet d’avoir accès à de bons étudiants, à davantage de ressources pour les équipements et ainsi de suite.
Lorsque Tony Fauci ou Francis Collins affirment que ceux qui s’opposent à eux disent des bêtises, sont dangereux ou contribuent à propager la menace du virus – même si c’est faux – le danger implicite est: si je parle, je risque de perdre mon gagne-pain. Ma capacité à faire de la science est menacée.
Mais lorsque des dizaines de milliers de personnes se lèvent comme un seul homme pour dire la même chose, pourquoi cette peur demeure-t-elle?
Certains scientifiques ayant signé la Déclaration de Great Barrington ont perdu leur emploi. Certains ont eu des cours retirés. D’autres ont été exclus des demandes de subventions de leurs collègues. C’était un acte de courage énorme pour les gens de signer. Et, vous savez, les scientifiques sont humains, ils ne veulent pas faire face à ce genre d’ostracisme. Beaucoup de ceux qui pensaient que le confinement était nuisible aux gens pauvres et aux enfants sont restés silencieux à cause de ça, je pense.
N’y avait-il pas également une certaine peur du virus?
Et pas seulement des répercussions sur leur carrière ?
On peut expliquer les actions de certains scientifiques et de certaines personnes par la peur, absolument. Parce que comme vous le dites, nous sommes tous humains et sujets à cela. La question est de savoir si les scientifiques agissent en tant que scientifiques dans leur capacité analytique. Laissent ou non cette peur influencer leur jugement. C’est leur travail, en tant que spécialistes de ces domaines, de surmonter cette peur et de dire ce qu’ils pensent que la bonne politique devrait être.
En mars 2020, cela a pu être de la peur. Mais dès octobre de la même année, je pense que c’était moins la peur et plus l’intimidation et la censure qui a conduit les scientifiques à rester silencieux.
Et vous? Pourquoi n’êtes-vous pas resté silencieux?
Je ne suis pas très intelligent.
Et si cette version ne convainc pas, quelle autre explication ?
Si j’étais resté silencieux alors que je croyais honnêtement que nous suivions la mauvaise politique dans un domaine où j’ai de l’expertise, alors il n’y aurait pas de but à ma carrière. Je devais m’exprimer parce que je pense que beaucoup de personnes ont été lésées par cette politique. Elle était erronée. Et si les gens qui ont des diplômes et des connaissances restent silencieux face à cela… Je ne pouvais pas. Je n’aurais pas pu. J’aurais vu ma carrière comme un échec. J’ai payé très cher de m’être exprimé, mais si c’était à refaire, je le referais.
Parlons un peu de Twitter. Vous faites partie des voix qui ont été blacklistées avant l’arrivée d’Elon Musk aux commandes. Vous en étiez-vous rendu compte?
Quand j’ai rejoint Twitter en août 2021, j’ai très vite gagné beaucoup de followers. J’en avais presque 200.000. J’avais donc l’impression que certains de mes messages atteignaient de nombreuses personnes. Seulement, j’ai rejoint Twitter pour atteindre des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec moi. Mais il était très clair que je ne les atteignais pas.
Quand j’ai appris l’existence de la liste noire de Twitter, j’ai compris pourquoi: Twitter a imposé cette restriction sur mes tweets afin qu’ils n’apparaissent jamais dans la liste des tendances, qu’ils ne soient pas vus par les personnes qui ne me suivent pas directement. Et donc, en conséquence, cela a limité la portée de mon message.
Les gens ne sont donc pas confrontés à des opinions contradictoires. En ce sens, Stanford et Twitter ont tous deux échoué dans leur mission. Celle de permettre aux gens qui ne sont pas nécessairement d’accord d’apprendre les uns des autres. Cela marque un manque d’engagement envers la liberté d’expression. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles notre politique Covid a échoué à ce point.
Pourquoi vous a-t-on mis sur liste noire, à votre avis ?
Je crois que c’est en partie sur ordre du gouvernement fédéral américain. Parce que je suis impliqué dans un procès intenté par les bureaux des procureurs généraux de Louisiane et du Missouri et la New Civil Liberties Alliance contre l’administration Biden.
Cette action en justice a permis de découvrir des dizaines de courriels et de preuves que de nombreuses agences de réglementation au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux étaient en contact avec de grandes entreprises technologiques, dont Twitter.
Ils leur disaient quoi censurer, dans de nombreux cas qui censurer, concernant le débat et la politique du Covid. Ils disaient à Twitter, par exemple, que telle ou telle opinion relève de la désinformation et qu’il faudrait la supprimer. Ils envoyaient des listes de mots que Twitter utilisait ensuite pour décider qui mettre sur liste noire, qui suivre, qui interdire.
Je pense donc que beaucoup d’actions des grandes entreprises technologiques ont été menées sur ordre du gouvernement.
Au début de la pandémie, c’est Donald Trump qui était aux commandes pourtant, non ?
Je pense que cette censure a commencé sous le président Trump, puis s’est poursuivie et étendue sous Biden.
Cette action en justice a permis de découvrir des dizaines de courriels et de preuves que de nombreuses agences de réglementation au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux étaient en contact avec de grandes entreprises technologiques, dont Twitter.
Ils leur disaient quoi censurer, dans de nombreux cas qui censurer, concernant le débat et la politique du Covid. Ils disaient à Twitter, par exemple, que telle ou telle opinion relève de la désinformation et qu’il faudrait la supprimer. Ils envoyaient des listes de mots que Twitter utilisait ensuite pour décider qui mettre sur liste noire, qui suivre, qui interdire.
Je pense donc que beaucoup d’actions des grandes entreprises technologiques ont été menées sur ordre du gouvernement.
Vous êtes allé rencontrer Elon Musk dans les bureaux de Twitter. Quel effet vous a-t-il fait?
J’ai été très impressionné. Je n’ai passé qu’une heure ou deux avec lui, mais je voulais comprendre pourquoi il faisait ce qu’il faisait. Parce qu’il me semble que ses actions ont mis Twitter en danger sur le plan juridique. Avant qu’il ne rachète la société, elle menait des actions illégales et il les a exposées au monde entier.
Pour lui, rendre publics les #TwitterFiles est un acte de restauration de la liberté d’expression dans notre société
Par Amèle Debey, journaliste, L’Impertinent
Source : covidhub.ch
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