À la mi-juin un infirmier se suicidait sur son lieu de travail au CHU de Toulouse. Quelques jours plus tard, au Havre, une infirmière de l’hôpital Jacques-Monod se suicidait après avoir laissé une lettre dans laquelle elle dénonçait ses conditions de travail. Lors de la minute de silence organisée à sa mémoire le mari de l’infirmière a lu le courrier qu’elle a laissé. Elle y dénonce la pression exercée depuis plusieurs mois par sa hiérarchie, afin de l’obliger à quitter le service néo-natalité pour le service de réanimation pédiatrique – et ce dans le cadre d’une politique de polyvalence et de suppression de postes mise en place en janvier 2016.
Au Havre les syndicats demandent que ce suicide soit reconnu comme accident du travail. Ils réclament également l’arrêt immédiat de la « politique de polyvalence » et la mise en place de mesures de prévention face au risque de suicide. L’infirmière, âgée de 44 ans et mère de deux enfants, avait été reçue par un cadre auquel elle avait fait part de ses réticences et de son malaise.
Professionnels abandonnés
Le site Egora.fr publie, sur ce thème douloureux, un entretien avec Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière : « Suicides d’infirmiers : « Le silence de Touraine, c’est de la non-assistance à personne en danger » ». Mme Depoire dénonce le silence public de Marisol Touraine, ministre de la Santé :
« Il y a effectivement un silence total qui fait beaucoup réagir la profession, qui n’est pas compris. Les professionnels se sentent abandonnés. Ils vivent des contraintes au quotidien qui ont beaucoup d’impact sur la santé des soignants. Le fait qu’il n’y ait pas de communication de la part du ministère est très très mal vécu. Ne pas vouloir en parler, c’est peut-être une façon de ne pas reconnaître la problématique.
Je ne m’explique pas ce silence. C’est assez surprenant pour le moins. Le minimum c’est d’envoyer un message de condoléance aux familles. J’espère que ça a été fait, même sans communication officielle. Je pense que notre profession méritait un message officiel national. On avait déjà eu ce problème avec une collègue assassinée dans l’exercice de ses fonctions il y a deux ans à Strasbourg. On avait déjà eu ce même silence assourdissant du ministère. On souhaite une réaction, et surtout il faut ouvrir des discussions pour trouver des solutions. Cette problématique de suicides est toujours un sujet délicat. Il faut que les enquêtes soient menées et que le lien soit avéré. Dans les deux cas évoqués, on a plus de que de fortes présomptions et ça mérite au moins une communication avec les représentants de la profession. »
« Se foutre en l’air »
La présidente de la Coordination nationale infirmière va jusqu’à parler de « non-assistance à personnel en danger ». Elle dit mesurer le poids de la formule :
« Ce sont des mots lourds de sens. Ils n’ont pas été écrits de manière anodine. Dans la position de responsabilité qu’a le ministère, rester dans le silence et ne pas appréhender cette problématique, c’est de la non-assistance à personne en danger. Et elle est en train de prendre de l’ampleur. On entend des agents dans les services dire qu’ils n’en peuvent plus. Certains vont jusqu’à verbaliser « Je vais finir par me foutre en l’air ». » »
« Nous avons alerté Marisol Touraine à de nombreuses reprises. On lui a adressé il y a quelques jours une lettre ouverte avec une demande de rendez-vous et nous restons sans réponse. Nous l’avons interpellée lors de sa visite à la Health care week (sic), au sujet de l’augmentation de l’absentéisme. Elle a pris acte, mais elle ne nous a fait aucune réponse. »
Sentiment de mal faire
Sur les causes d’un phénomène aussi inquiétant Mme Depoire évoque une inadéquation entre l’exercice quotidien réel et l’exercice pour lequel les infirmiers formé… le sentiment de mal faire leur travail…. les contraintes économiques …les difficultés à pouvoir gérer le quotidien… les flux tendus… les absences qui deviennent une problématique majeure … les absences de définition claire du « ratio soignants au lit du patient »…. les sous-effectifs permanents… des rappels sur les temps de repos… des problèmes d’épuisement des soignants. Comment résumer tout cela ?
« Ça signifie que les infirmiers ne sont pas des machines à actes. Dans nos missions, il y a de l’éducation, de la prévention, de l’information. Une grande part de relationnel. Là, on court plus sur ce qui est prescrit, sur des impératifs et on n’a pas forcément le temps nécessaire à accorder à la réponse relationnelle. Les professionnels rentrent chez eux, souvent en retard, épuisés, avec le sentiment de ne pas avoir fait tout ce qu’il fallait faire. Et ça, ça perturbe énormément les soignants aujourd’hui. C’est un facteur de stress. A cela s’ajoutent les contraintes de polyvalence.
« Dans nos permanences, on reçoit des soignants en larmes qui se sentent dévalorisés, qui ne se sentent pas compétents parce qu’ils n’ont pas pu répondre à un patient. Mais c’est parce qu’on ne les a pas accompagnés à répondre. Les directions sont elles-mêmes soumises à des contraintes économiques et qui n’ont plus assez d’effectifs pour faire face, ni les moyens pour remplacer. Ils ont des contraintes de diminution d’effectifs. Cela fait plusieurs années qu’on observe cette situation. Depuis ce système de T2A, de rentabilité, d’actes, les groupements de territoire. On est dans la mutualisation de moyens à l’extrême. »
Aujourd’hui 5 juillet 2016 Marisol Touraine, ministre de la Santé, a officialisé la création des 135 groupements hospitaliers de territoire. Mme Touraine s’exprime beaucoup dans les médias. Répondra-t-elle aux infirmières et aux infirmiers qui travaillent dans ces établissements et qui disent avoir le sentiment, paradoxal, d’être en danger ?
Texte de Jean-Yves NAU
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