Des agents qui cumulent des missions d'intérim dans leur propre CHU, des recours insuffisamment justifiés par les DRH... L'AP-HP est pointée du doigt cette fin d'année par l'Inspection du travail pour des violations supposées en la matière. Pour les syndicats, la solution passe par l'arrêt des suppressions de postes et une hausse des salaires.
Dans un courrier daté du 6 novembre dernier et adressé après un contrôle mené auprès d'une société d'intérim, l'Inspection du travail a fait part à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) d'une "suspicion de nombreuses violations" des articles du Code du travail sur l'intérim au cours du premier semestre 2015, a fait savoir le CHU francilien le 22 décembre par communiqué. L'établissement recourt chaque année à près de 600 000 heures d'intérim, un nombre en baisse ces dernières années, comme le souligne l'AP-HP, pour des missions réparties entre plusieurs sociétés. Concrètement, les violations supposées seraient de deux natures : des cumuls illégaux d'activité chez certains agents du CHU ; les conditions du recours à l'intérim puis d'exercice de ces missions.
500 agents en cumul d'activité sur une seule société
S'agissant du cumul d'emploi, "les marchés conclus par l'AP-HP avec les sociétés d'intérim prévoient, dans leur cahier des charges, qu'il incombe au prestataire de vérifier que les agents ne sont pas en situation de cumul et que ce dernier doit vérifier, avant d'assurer une mission pour l'AP-HP, que l'agent a le droit de faire cette mission", précise le CHU francilien. En effet, les personnels de la fonction publique hospitalière n'ont pas — sauf dérogation "très particulière" de leur employeur — le droit d'exercer une deuxième activité. D'ailleurs, "dans le passé, quelques infractions ont été relevées et ont systématiquement fait l'objet de poursuites disciplinaires", signale l'AP-HP. Au passage, celle-ci met quelque peu en cause l'attitude des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Les hôpitaux du CHU leur auraient demandé à plusieurs reprises ces dernières années de vérifier que leurs propres agents n'étaient pas en situation de cumul illégal d'activité. Toutefois, "ils n'ont jamais pu obtenir transmission de ces informations qui se heurtent à des règles de non-croisement de fichiers". Or face à cela "il est très difficile de détecter des situations de cumul, en dehors de dénonciation ou de découverte fortuite, ce qui n'est pas propice à une politique équitable et efficace de respect des règles".
"Ce contrôle permettra de vérifier qu'il n'y a pas d'agent de l'AP-HP qui pourrait être envoyé comme intérimaire en mission à l'AP-HP et qui n'aurait pas déclaré sa situation auprès de la société d'intérim."
Toujours est-il que l'AP-HP indique avoir demandé à la société d'intérim contrôlée par l'Inspection du travail la liste des agents intérimaires ayant exercé en son sein depuis 2012 pour la comparer à la liste de ses effectifs et "détecter d'éventuelles anomalies". Résultat : cinq cents noms figurent sur ces deux listes, dont trois cent cinquante pour lesquels les situations d'intérim s'avèrent justifiées. Ce sont, précise le CHU francilien, des agents pas en fonction au moment de leur mission, des agents pas encore embauchés ou des étudiants autorisés à faire de l'intérim. "La vérification est en cours pour les cent-cinquante autres personnes", laisse-t-il entendre. En parallèle, une demande similaire de vérification a été adressée aux autres firmes d'intérim prestataires du CHU francilien : "Ce contrôle permettra de vérifier qu'il n'y a pas d'agent de l'AP-HP qui pourrait être envoyé comme intérimaire en mission à l'AP-HP et qui n'aurait pas déclaré sa situation auprès de la société d'intérim". Enfin, un rappel aux règles et interdictions de cumul d'emploi a été signifié aux directions des ressources humaines des différents hôpitaux de l'AP-HP. Un guide d'information à l'attention des personnels est également en cours de rédaction.
Les taux d'achat des prestations d'intérim jugés conformes
Concernant les conditions de recours à l'intérim, des vérifications sont actuellement en cours, relate l'AP-HP, ajoutant qu'"elles ont déjà donné lieu à plusieurs échanges avec l'Inspection du travail, par écrit ou lors de réunions". D'ores et déjà, "dans de nombreux cas, des justifications ont pu être apportées (...), concernant des manques de précision dans le recours à une mission d'intérim, des formulations imprécises ou des erreurs matérielles. Dans d'autres cas, des conditions d'urgence ont dû conduire à des régularisations a posteriori." Là aussi, un rappel aux règles a été signifié à l'ensemble des douze groupes hospitaliers du CHU, dont l'impérieuse nécessité de justifier "correctement et complètement" toute demande d'intérim. Sans compter qu'"il a été produit à l'Inspection du travail les conditions économiques du marché public signé qui montrent que les taux d'achat des prestations d'intérim sont bien conformes", conclut l'AP-HP.
L'AP-HP "a bon dos" et "se trompe de coupable"
Pour le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), "l'AP-HP se trompe de coupable". Son secrétaire général, par ailleurs responsable local du syndicat au sein du CHU, rappelle par communiqué que "beaucoup de jeunes infirmiers font un peu d'intérim pour arrondir les fins de mois, vu le coût des loyers à Paris. Ce n'est pas du travail au noir, elles payent des charges sociales et des impôts sur ces missions. Le vrai problème, c'est le montant des salaires, personne ne travaille en plus pour le plaisir." Par conséquent, peut-on sanctionner un agent dans ces conditions ?, interroge l'intéressé. "À qui porte t-il tord, sinon à lui même, sachant que l'espérance de vie d’une infirmière pensionnée à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales est de 78 ans au lieu de 85 ans pour les femmes..." Raison pour laquelle, à lire le SNPI, l'objectif de l'AP-HP ne doit pas être, pour éviter ces dérives, de poursuivre ses agents qui font ce type de missions mais de revaloriser les salaires en début de carrière. Ou d'en finir avec le gel du point d'indice, abonde la CFDT, sollicitée par Hospimedia. "C'est bien que le ménage soit fait", ajoute-t-on au syndicat, rappelant les cas d'agents en congés ou arrêts maladie qui reviennent en intérim. Mais elle rappelle aussitôt que cette situation arrange également bien le CHU dans sa gestion des plannings. À la CGT, on note aussi qu'il est facile pour l'AP-HP de "se dédouaner" sur les sociétés d'intérim et les agents, alors qu'en même temps elle ne cesse de supprimer des postes de titulaires : 1 500 l'an prochain à entendre le syndicat, contacté par Hospimedia. Elle a également "bon dos quand on sait comment elle exploite les contrats à durée déterminée et les textes officiels sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique".
Article de Thomas Quéguiner
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