Hôpitaux : le palmarès 2005
(publié dans "Le point" du 17 janvier 2007)
« J’en connais, des hôpitaux, en France et dans le monde. Mais, à Bordeaux, je suis tombé sur de sacrés pros. Ils m’ont vraiment sorti d’une sale affaire. » Le navigateur Yves Parlier, 44 ans, n’a pourtant pas le compliment facile. Il n’est pas non plus le genre d’homme à se ménager physiquement. Tous les Français se souviennent de lui, en décembre 2000, réparant en solitaire le mât de son bateau dans une île du bout du monde, après que celui-ci se fut brisé au sortir des cinquantièmes hurlants. Un Vendée Globe dont Yves Parlier finira bon dernier, mais acclamé par la foule pour son courage et sa ténacité. Il y a quatre mois, c’est un cargo chilien qui le recueille, près des Canaries, avec trois vertèbres fracturées. Cette fois, son catamaran « Mediatis-Région Aquitaine » a chaviré en pleine nuit. « Je ne me suis même pas arrêté dans les hôpitaux espagnols. Je suis tout de suite allé à Bordeaux. » Pourquoi ? Parce qu’en 1998 c’est dans les airs qu’Yves Parlier connaît un grave accident et que l’intervention des médecins du centre hospitalier universitaire se révèle décisive. « Une chute de 200 mètres dans les Alpes en essayant une nouvelle voile de parapente. Résultat, hanche et cheville cassées, direction l’hôpital de Briançon, où j’ai été opéré. Et là, on m’a détruit le nerf sciatique mais surtout collé un staphylocoque. » Yves Parlier connaît alors la souffrance au long cours de tous ceux qui ont contracté une infection articulaire : « C’était très dur. Revenu à Bordeaux, j’ai fait un détour à l’hôpital pour un prélèvement, poursuit-il . Et là ils ont compris. Remonté toute l’histoire, établi un long traitement antibiotique avant d’opérer. Et aujourd’hui tout va bien. Ce que j’ai appris ? D’abord, avec ce qui m’est arrivé à Briançon, ma confiance aveugle dans les médecins s’est effondrée. Ensuite, je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas se faire opérer n’importe où. Enfin, qu’il faut vraiment former une bonne équipe, bien s’entendre avant d’établir un diagnostic. Il faut que les gens aient confiance les uns dans les autres. C’est quelque chose de très compliqué. »
Bonne qualité des soins
Ils sont plusieurs à avoir pris en main le destin d’Yves Parlier au service d’orthopédie de l’hôpital Pellegrin, principal établissement du centre hospitalier universitaire de Bordeaux. D’abord le professeur Jean-Charles Le Huec, chirurgien orthopédiste, classé premier en chirurgie du rachis de ce palmarès des hôpitaux et spécialiste de la prothèse discale, mais aussi le professeur Michel Dupon, infectiologue. Tous deux ont la rude tâche de « récupérer » les patients dont les interventions ont mal tourné à la suite d’une infection osseuse. Le CHU héberge l’un des rares centres spécialisés en France dans ce type de reprise, des structures réclamées depuis longtemps par les associations de victimes. La lutte contre les infections nosocomiales est par ailleurs l’un des points forts de l’hôpital, qui bénéficie d’une « prime » dans le cadre de ce palmarès pour la qualité de leur suivi. Notre enquête sur ce thème publiée en avril ( voir n° 1700 ) remarquait en effet ses efforts dans ce domaine quand d’autres établissements, parfois même les plus prestigieux, étaient loin d’en avoir fait une priorité. « C’est le fruit de l’histoire. Notre service d’hygiène a été fondé parmi les premiers, en 1974 », explique modestement le professeur Jean-Pierre Gachie, qui le dirige.
Des hygiénistes bien intégrés
Un département qui gère chaque année 7 000 cas d’infections nosocomiales, dans leur immense majorité bénignes et inévitables. Enfin, signe qui ne trompe pas, ici les chirurgiens évoquent souvent les hygiénistes. Parfois pour rire un peu des contraintes qu’ils imposent, de temps à autre pour s’en plaindre, mais en ne les traitant jamais comme des parias. Ce qui est encore trop souvent le cas dans bon nombre d’établissements de soins. « Non, rien de cela ici. Nous sommes bien intégrés », reconnaît le professeur Gachie en souriant.
Mais ce qui permet au centre hospitalier universitaire de Bordeaux d’obtenir la toute première place de ce palmarès, ce sont ses bons résultats dans les 32 disciplines (contre 25 en 2004) analysées dans le cadre de cette édition 2005. Pour réaliser ces classements, il a fallu faire parler le PMSI (programme médicalisé des systèmes d’information), base de données regroupant les dossiers anonymisés des 12,3 millions de patients qui ont fréquenté les 750 hôpitaux publics en 2003. Ensuite ces résultats ont été enrichis par les résultats de multiples investigations : ajouts de critères classants au vu de l’évolution des techniques médicales, qualification des praticiens, exploitation d’un questionnaire et d’annuaires concernant l’environnement médical et technique, enfin multiples vérifications auprès des professionnels des différentes disciplines. Au final, le CHU de Bordeaux se situe devant son grand rival régional, le CHU de Toulouse, ceux de Lille, Montpellier et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Rien d’étonnant car le centre hospitalier, au fil de ces palmarès, a toujours été bien classé. Déjà premier en 2003, deuxième en 2004, il a toujours joué dans le club très fermé des meilleurs établissements de soins de France. Pour la capitale de la région aquitaine, le CHU pèse lourd. Avec ses 13 500 salariés, ses 1 500 médecins, sa cinquième dotation financière des hôpitaux français (750 millions d’euros), il est bien sûr le premier employeur de la ville. Reste à voir ce qu’on pense de ce palmarès sur le terrain.
Dans son bureau ensoleillé de l’hôpital du Haut-Lévêque, le professeur Gérard Janvier examine calmement les différents classements. Le patron du service d’anesthésie-réanimation - yeux bleus, cheveux blancs très courts et carrure de rugbyman -, également président de la CME (Communauté médicale d’établissement, le « Parlement » des médecins de l’hôpital) estime que l’absence du CHU parmi les meilleurs en chirurgie ligamentaire du genou n’est pas une catastrophe. « Cela ne m’ennuie pas vraiment. Les cliniques de la ville font cela très bien et je préfère que notre secteur d’orthopédie soit tourné vers des domaines qui relèvent vraiment de notre mission hospitalo-universitaire. Par exemple, récupérer les prothèses infectées. On draine déjà un quart des patients français. S’investir dans ce genre de choses difficiles, c’est cela, notre rôle. Pareil pour les prothèses de hanche. Je ne suis pas choqué qu’on ne soit "que" 33e. » Le ton est donné. D’ailleurs, le professeur Janvier embraie aussitôt sur la qualité de la recherche clinique bordelaise. « Il faut dire la vérité. Il n’y a que 8 centres hospitaliers universitaires sur 29 qui font réellement de la recherche. Et le nôtre figure parmi les mieux placés. On a ici 45 labos, du CNRS, de l’Inserm et ceux de l’université. Cela ne peut pas ne pas avoir d’influence sur la qualité des soins. » Ensuite, c’est la visite. A l’hôpital du Haut-Lévêque sont rassemblées les chirurgies digestives et thoraciques ainsi que la cardiologie. Un bâtiment magnifique relié par une allée à auvent à un édifice en béton datant des années 70, hideux et très abîmé. « Eh oui. Il va être refait bientôt. C’est cela aussi, l’hôpital », grommelle le professeur Janvier. La cardiologie est l’un des points forts du CHU, avec notamment la rythmologie, dirigée par le professeur Michel Haissaguerre : « Ici, c’est une tradition. Et nous sommes très interventionnistes dans ce domaine. » Les trois établissements qui composent le CHU traitent tous les urgences cardiaques. En centre-ville, c’est Saint-André, hôpital de proximité qui abrite également une partie de la cancérologie, la gériatrie et la médecine interne. Plus excentré, c’est le fameux « tripode », l’hôpital Pellegrin, « porte-avions » du CHU. Un immense bâtiment de treize étages qui s’ouvre comme une sorte de paravent à trois faces où sont situés les principaux services de l’hôpital.
Les points faibles du centre hospitalier universitaire ? En cherchant bien, on peut regretter la division en deux services de l’urologie (qui obtient tout de même de très bons résultats), une pédiatrie qui, après une terrible guerre des chefs, se remet lentement au niveau de celle d’un CHU, le fait que la réanimation enfants soit séparée de la maternité, ce qui oblige à des transferts en ambulance médicalisée au sein même de l’hôpital. Mais, globalement, on peine à trouver quelque chose de catastrophique. Du côté des internes, ces jeunes médecins en formation, on reconnaît l’excellence du CHU et ses multiples avantages : « La faculté de médecine est située sur le site de l’hôpital, c’est un vrai plus. Si on ajoute la qualité des services et le cadre de vie, c’est vraiment un endroit assez idéal pour faire ses études de médecine », juge Paul Avillach, patron des internes. Bien sûr, au sein du CHU, il y a parfois des coups de colère. Ainsi, après deux refus des syndicats de voter le budget 2005, celui-ci, comme la loi l’exige, a été décidé à la préfecture tandis que certains professionnels manifestaient devant son enceinte. « Une soixantaine de personnes qui font beaucoup de bruit, rien de plus », tempère Alain Hériaud, directeur général du CHU. Une visite au petit local de la CGT ne permet pas non plus de découvrir de véritables points noirs. Certes, on tempête en demandant carrément 1 000 postes supplémentaires afin que le CHU ne glisse pas dans le « tout libéral. » Mais, dès qu’on évoque la qualité des soins, c’est l’unanimité : « L’hôpital reste une valeur sûre. Personnellement, je viens me faire soigner ici », reconnaît Anne-Marie Lapédagne, administratrice du CHU et membre de la CGT. Même aux urgences pédiatriques dont le chef, le docteur Pascal Pillet, a poussé un sacré coup de gueule en novembre 2004 à la suite du manque d’effectifs, les passions semblent être retombées. On manque encore de praticiens, mais « les choses vont beaucoup mieux », reconnaît-il. D’ailleurs, si un service connaît de vrais problèmes, ici on a une méthode. Recruter à l’extérieur. C’est ce qui est arrivé avec le professeur Joseph Colin, qui dirigeait auparavant le service d’ophtalmologie du CHU de Brest et dont le transfert a fait beaucoup de bruit. « J’estimais que l’ophtalmologie n’était pas au niveau, explique Alain Hériaud. J’ai rencontré le professeur Colin et il a accepté de venir créer l’Institut de la vision. » Une greffe qui a pris car, dans les trois domaines de la chirurgie ophtalmologique analysés cette année, le CHU se situe au niveau des tout premiers établissements de France.
Agitation au service ORL
Au neuvième étage de Pellegrin, c’est un personnage vibrionnant qui accueille les visiteurs. Le professeur Jean-Pierre Bébéar, 63 ans - mais en paraissant bien dix de moins -, est le patron de l’ORL. Il y a deux ans, il a refusé de poser un « diabolo », un drain qui soulage les otites sérieuses, chez une jeune patiente. Tollé dans la presse locale. « Il nous manquait du personnel et le délai devenait tellement infernal que cela posait un réel problème d’éthique. J’ai préféré, c’est vrai, diriger cette jeune patiente vers un autre établissement. Ce n’est pas notre rôle de faire du soin de petite clinique de ville. » Le professeur préfère évoquer le programme de dépistage de la surdité des nouveau-nés, qui vient d’être lancé. « Vous vous rendez compte, on a détecté sur 1 800 enfants 6 cas très graves qu’on va pouvoir opérer. » Sa treizième place en chirurgie du cancer ORL ? Le professeur Bébéar examine le classement et l’accepte de bonne grâce. « Cela ne m’étonne pas. Nous avons encore du boulot à faire en cancérologie. »
Parmi les points fort du CHU, il faudrait citer plusieurs autres services. La neurologie, Bordeaux étant une école historique dans cette discipline, avec une prise en charge remarquable des accidents vasculaires cérébraux dans l’unité dirigée par le professeur Jean-Marc Orgogozo ; l’hépatologie-gastroentérologie, avec le service du professeur Patrice Couzigou, ou encore le pôle de chirurgie digestive. Et puis il y a tout ce qu’on ne peut classer. Cela va du Cauva, Centre d’accueil en urgence des victimes d’agression, fondé par le professeur Sophie Gromb à l’unité médico-psychologique de l’adolescent et du jeune adulte dirigée par le docteur Xavier Pommereau, ou encore l’unité de génétique médicale du professeur Didier Lacombe, récemment labélisée centre national de référence dans le cadre de la recherche sur les maladies rares. Et les urgences, bien sûr, car ici on dispose d’un vrai « trauma-center » : « C’est un formidable outil de travail, je suis fière de bosser ici », dit le docteur Marie-Edith Petitjean.
Le secteur public va mal
Pour les ambulanciers, deux directions immédiates. Soit les boxes et les lits-portes pour les petites pathologies, soit directement la réanimation et les blocs opératoires, contigus. Même professionnalisme à la régulation du 15, où huit personnes orientent les secours et font décoller les trois hélicoptères prépositionnés de Royan aux Landes. « Si les gens savaient ce qu’on met en place pour les prendre en charge », soupire le chef du service, le docteur Michel Thicoïpé.
« C’est un hôpital harmonieux, dit le professeur Didier Lacombe. Certes, il y a encore des luttes, mais globalement elles s’estompent au fil du temps. » Reste la politique médicale élitiste du CHU. Une étude réalisée en 2003 par le service médical de l’assurance-maladie (1) permet de se poser quelques questions. D’abord, en Aquitaine, le secteur privé des cliniques et les établissements mutualistes traite déjà 70 % de la chirurgie. Mais, surtout, on y travaille bien plus et avec moins de personnel. Quand dans le public on réalise 1,81 intervention par jour, ce chiffre est doublé par le privé (3,51). Et il faut 2,05 personnels médicaux pour faire tourner quotidiennement un bloc public, contre seulement 1,36 dans le privé. Les cliniques sont-elles pour autant plus dangereuses ? Non, c’est l’inverse : par manque d’activité, un tiers des plateaux du public en Aquitaine présentent « des risques en termes de sécurité pour les patients », contre 6,9 % dans le privé. Bref, le secteur public va mal. Alors, après la mort des petits hôpitaux, l’agonie des centres hospitaliers généraux, il ne faudrait pas que les CHU, en visant l’excellence hospitalo-universitaire, ne prennent plus que des pathologies lourdes. En négligeant les patients les plus fréquents et en perdant ce que l’on appelle - même dans le domaine de la santé - des parts de marché.
Note du Webmaster:
c'est une vérité que les CHU sont mieux pourvus que les Centres hospitaliers appelé de proximité, mais il faut comparer ce qui est comparable.
Les grands maux des hôpitaux ce sont les moyens qui sont de plus en plus restreints, alors il ne faut pas "jeter la pierre" à un hôpital quel qu'il soit, il y aura dans le temps toujours une erreur médicale à dénoncer, qui en fait pas? De là à condamner les Centres hospitaliers de proximité c'est de la manipulation à la B... K... n'oublions pas quand ce dernier alors ministre de la Santé commençait à préparer les usagers potentiels sur les bons et les mauvais hôpitaux...il préparait aussi la casse de certains services au nom de la rentabilé, les autres arguments étant surtout des prétextes pour la cause...et quelle cause!
En conclusion, il n'est jamais bon de lancer un pavé dans la mare, surtout quand l'on porte un costume...
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