"La Vie Hospitalière"

mardi 10 novembre 2020

Covid-19 : la santé publique affaiblie par dix ans de politique d'austérité en Europe

Face à l'épidémie mondiale, l'Union Européenne plaide la solidarité. Pour mieux masquer dix ans d'austérité qui ont abîmé les systèmes de santé dans plusieurs pays comme l'Espagne ou l'Italie. Tour d'horizon.




Au cours du premier épisode de la Covid-19, la Commission européenne avait été visée pour son inaction et son inconsistance en matière de solidarité. Lors du Conseil européen ( virtuel ) du 29 octobre c’est tout naturellement que la seconde vague de la pandémie s’est retrouvée au centre des débats.

Pour éviter un nouveau procès en « je m’en foutisme » des 27, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, a dû multiplier les annonces pour prévenir tout repli nationaliste des États. La cheffe de l’exécutif européen s’est aussi félicitée de la mobilisation de 220 millions d’euros, en vue de soutenir le transfert transfrontalier de patients en cas de saturation d’hôpital pour un État membre.


Un effort bien maigre en rapport au prix élevé que les politiques d’austérité imposées par Bruxelles depuis plus de dix ans, coûtent à la majeure partie des pays de l’Union. De la Belgique à l’Espagne en passant par l’Italie et l’Allemagne, petit tour d’Europe de l’état de santé inquiétant des systèmes médicaux de nos voisins européens.


EN ESPAGNE, L’AUSTÉRITÉ A RENDU LE MUR DU COVID-19 PLUS DUR À FRANCHIR

Personnel exténué, conditions de travail détériorées, centres médicaux surchargés, matériel manquant : le Covid-19 met en lumière les faiblesses du système de santé espagnol, poussé vers l’abîme depuis la crise économique de 2008. Les professionnels de santé n’ont pourtant cessé de tirer la sonnette d’alarme au fil des années, sans être entendus.


Poussée par l’UE à réduire ses dépenses, l’Espagne a en effet affaibli son système de santé et en paie aujourd’hui les conséquences. Amnesty International nomme cela la « décennie perdue », notant que si le PIB a augmenté de 8,6 % entre 2009 et 2018, les dépenses publiques de santé ont chuté de 11,21 %. L’Espagne consacre seulement 8,9 % de sa richesse à la santé. La dépense par habitant est de 2 371 euros, 15 % de moins que la moyenne de l’UE. Dès 2018, l’organisation dénonçait : « Les mesures d'austérité ont détérioré l'accessibilité et la qualité des soins », impactant particulièrement les personnes « à faible revenu, atteintes de maladies chroniques, handicapées, âgées ». Celles qui sont les plus exposées au Covid-19.


Aujourd’hui, ce n’est pas sans un certain cynisme que cette même Commission européenne demande à l’Espagne d’investir dans la santé pour réparer les « problèmes structurels » révélés par l’épidémie. Le pays souffre d’un « manque d'investissement dans les infrastructures, le recrutement et les conditions de travail du personnel ». L’UE se mord la queue, complice des maux qu'elles dénoncent puisque c'est elle qui a pressé les différents gouvernements espagnols à prendre les mesures d’austérité qui ont mis en péril le système de santé. Un système qui a dû « s’adapter à la crise économique et accroître son efficacité », comme disait Bruxelles en 2017. On constate aujourd’hui les dégâts de cette « efficacité ».


EN ITALIE, DEPUIS 2009, UNE SAIGNÉE FATALE POUR LES PATIENTS COMME POUR LE PERSONNEL

Pour diminuer la dette publique italienne - la deuxième plus élevée de la zone euro après la Grèce - les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays n’y sont pas allés de main morte ces dix dernières années. D’après un rapport publié fin 2019 par l’institut de recherches Gimbe, ce sont quelque 37 milliards d’euros de ressources destinées à la Santé qui ont été coupées ! La dépense sanitaire italienne ajoute ce rapport, représente 6,6 % du PIB, soit trois points de moins que la France et l’Allemagne.


Mais les chiffres les plus parlants concernent d'abord les professionnels de la santé comme les patients. Aussi, ces coupes se sont traduites par une diminution de 50 % du nombre de lits dans le secteur hospitalier et la perte de 70.000 unités en soins intensifs. Entre 2009 et 2017, 46.000 emplois ont été supprimés pendant que 600 établissements et 759 départements hospitaliers fermaient. Avec 5,6 infirmiers pour 1000 habitants contre 10,5 en France, la Péninsule ne fait pas partie des pays les mieux dotés en personnel paramédical. Récemment, la Fédération italienne des infirmiers a été obligée de réclamer le recrutement de 50.000 infirmiers. Ce qui ne serait pas de trop. Au chapitre des blouses blanches, 56.000 praticiens manquent à l’appel et la majorité des médecins a largement dépassé la cinquantaine. Cette insuffisance de personnel médical se traduit par la non-application des normes européennes et de la convention collective italienne sur le temps de travail. « D’où une perpétuelle remise en question de la qualité et de l’offre des soins » avertit le syndicat des médecins Anaao. Les multiples coupes budgétaires ont également impacté le secteur des équipements. D’où des délais interminables au niveau des listes d’attente, même pour les examens de routine.


Pour redresser la barre, l’Italie devrait investir dans l’immédiat, 10 milliards d’euros. Or durant les dix dernières années, le budget alloué a été augmenté de seulement 8,8 milliards d’euros. Une bien petite enveloppe qui ne tient compte ni de l’inflation ni des besoins actuels avec le vieillissement de la population. 

Pour compenser les réductions des dépenses, l’Italie a sponsorisé la création des assurances privées et de fonds soins de santé. Une politique qui pénalise une partie de la population car elle remet en question le principe du service universel de santé garanti par la Constitution.

EN ALLEMAGNE, DES CAPACITÉS MAINTENUES MAIS PAS ASSEZ DE PERSONNEL

Le bon financement du secteur hospitalier allemand est souvent avancé comme l’une des raisons principales du faible nombre de morts du Covid-19 en Allemagne. La capacité actuelle en termes de lits de soins intensifs est de 30.000 lits avec l’option d'en mobiliser 12.700 supplémentaires sous 7 jours. Soit bien plus que la France et la grande majorité des pays européens.


Pour le Pr. Reinhard Busse, spécialiste des questions de management de la santé, cette « opulence hospitalière » ne résulte cependant pas d’un choix politique : « Même si sa taille a déjà été réduite de 25 % ses 20 dernières années, notre secteur hospitalier n‘a jamais été réformé en profondeur. Ce qui explique pourquoi il est en surcapacité dans certains domaines », affirme-t-il. Les hôpitaux étant sous tutelle des 16 Länder, il est difficile de cerner le budget global consacré outre-Rhin aux hôpitaux. On sait en revanche que la dépense de santé en euros et par habitant est de 4.459 euros en Allemagne (Eurostat, 2017), contre 3.883 euros pour la France.


Vieillissement démographique aidant, le point faible du système allemand est le manque de personnel. Fin 2019, 17 000 postes d’aides-soignants étaient inoccupés. En attendant une réforme, le Bundestag a voté, en septembre dernier, une aide supplémentaire aux hôpitaux de 4 milliards d’euros.

EN BELGIQUE : L'AUSTÉRITÉ GAGNE LA SANTÉ DES BELGES

« Depuis 20-30 ans la Belgique a fait le choix d’améliorer l'efficience de son système de santé », dixit Sophie Gerkens, économiste au centre d’expertise des soins de santé belge. Un objectif à l’accent libéral très prononcé et qui pourrait se résumer ainsi : augmenter la qualité et l’efficacité des soins tout en réduisant les coûts. Si le second objectif a été atteint, pour le premier les résultats sont mitigés.


« La Belgique a commencé par supprimer des lits pour réduire le temps passé à l’hôpital », raconte Alain De Wever, Professeur émérite en économie de la santé et gestion hospitalière à l’Université libre de Bruxelles (ULB). En 30 ans, le royaume a fermé environ 12.000 lits dont la disparition a été compensée en partie par l’ouverture de 6.000 lits chroniques supplémentaires et une amélioration technologique. Le deuxième choix a été « de limiter le nombre de nouveaux médecins entrants. Ainsi, nous avons instauré en 1994 un numerus clausus », continue l’économiste. A suivi, dans les années 2010 notamment sous le gouvernement Michel, une politique d’austérité budgétaire qui a notamment réduit les recettes des institutions hospitalières. « Ces politiques ont affaibli la prévention des maladies et la comptabilité des hôpitaux » affirme Yves Coppieters’t, professeur de santé publique à l’ULB. En effet, si la part des dépenses dans la santé reste stable (environ 10 % du PIB) « le budget croît moins vite que l’augmentation des besoins de santé, constate Alain De Wever pour qui « si elle veut s’en sortir, la Belgique devra revoir sa stratégie pour mieux combattre le virus. » L’économiste pointe en effet un autre gros problème : le manque d’infirmières. « On a limité leur nombre alors que dans le même temps on demandait d’améliorer la qualité des soins, et cela se ressent avec la pandémie que nous vivons. » Dans l’entre-deux vagues de la Covid-19, peu de choses ont pourtant changé. « On a certes augmenté notre capacité de tests, mais le politique n’a pas retenu les leçons du premier confinement » insiste Yves Coppieters’t.


Résultat. Sous le feu d’une deuxième vague très forte et d’un personnel hospitalier épuisé, le gouvernement fédéral fait finalement comme tout le monde autour de lui et a pris la décision de reconfiner le pays pour un mois.

Par Ariel F. Dumont , Daryl Ramadier , Robin Lemoine , Stéphane Aubouard et Thomas Schnee




Source : marianne.net

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