"La Vie Hospitalière"

mardi 11 avril 2017

Souffrance des soignants : la double peine



Souffrance des soignants : la double peine

Le Ministère de la Santé a récemment dévoilé sa stratégie pour améliorer la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Ces engagements, même s’ils ont été jugés insuffisants, étaient attendus de longue date, tant les alertes concernant la progression de la souffrance des soignants ont été nombreuses ces derniers mois.
Pour agir, il semble d’abord nécessaire de bien déterminer les spécificités de cette souffrance des professionnels de santé. Président d’Honneur du Comité consultatif national d’éthique, le professeur Didier Sicard revient sur ces particularités et se concentre sur l’intéressant travail mené depuis plusieurs mois par l’association Soins aux professionnels de santé.

Par le professeur Didier Sicard, président d’Honneur du Comité Consultatif National d’Éthique
La souffrance des soignants, qu’ils soient libéraux ou salariés, est très particulière, spécifique à ce milieu en raison des causes qui créent ces vulnérabilités, ce mal-être, ce burn out mais aussi de la difficulté à trouver une solution. Plus précisément, et c’est dans l’essence même du soignant, la souffrance est quelque chose qui se cache. Celui-ci vit cette souffrance comme une double peine : d’un côté, comme tout être humain, il est dans la souffrance et la peur de la mort, de l’autre, étant lui-même la réponse à la souffrance, il se retrouve totalement démuni. En matière de vulnérabilité, c’est ce double état qui le différencie des autres professionnels.
Malades malgré eux
Cette dichotomie qui touche le soignant a un impact sur sa demande d’aide : il n’y a pas plus avare de demande d’aide qu’un soignant. Mais pourquoi demanderait-il de l’aide alors qu’il est privilégié puisque partie intégrante du circuit médical ? Alors qu’il est, lui-même, la réponse à la souffrance ? Si le soignant est dominé par cette pensée, la société considère elle aussi qu’il n’a pas besoin d’aide et, pour aller plus loin, qu’il ne peut être malade, car il a accès à tout un circuit privilégié. De ce fait, le soignant apparaît comme une espèce humaine spécifique.
Des contraintes irréconciliables
Par ailleurs, deux aspects peuvent expliquer la souffrance de plus en plus manifeste des soignants. Tout d’abord, la médecine est dans une situation de grand conflit majeur, qui s’amplifie, avec d’une part de fortes contraintes économiques et de management, de l’autre l’être l’humain qui est en face de celui qui le soigne. Il existe peu de professions aussi écartelées, aussi écrasées entre deux contraintes si contradictoires. Cet écartèlement crée une très grande violence, en particulier pour l’infirmière dont l’accompagnement psychologique est une donnée essentielle du métier mais que l’on va juger uniquement sur ses capacités techniques. Résultat : le fait de ne pas pouvoir répondre à la demande sociétale crée une sorte d’angoisse chez le soignant. Par ailleurs, un soignant qui exerce seul, dans une activité libérale par exemple, a la volonté de résister et de tenir les deux aspects en même temps, jusqu’au moment où il n’y arrive plus, avec l’impression d’effectuer un travail absurde. Le burn out n’est pas simplement un trop plein de travail, il résulte de la prise de conscience d’une certaine absurdité d’avoir à répondre à des tâches qui ne sont pas celles d’un soignant. Il est évident que l’ensemble des tâches ne peut, ne doit être accomplie par une seule personne, en l’occurrence le soignant.
La violence de l’organisation hospitalière
L’autre aspect concerne l’organisation autoritaire, pyramidale des soins dans le milieu public hospitalier. Cet aspect touche tout particulièrement les étudiants en médecine et les élèves infirmiers lors de leurs stages, lorsqu’ils se forment à leur métier. Au lieu de les encourager, on va d’emblée les pressurer, les soumettre à des horaires quasi-industriels. Ils sont ainsi exposés, dès le début, à une sorte de violence. Parce que l’on ne s’intéresse qu’à leurs performances, certains finissent par craquer. L’autoritarisme médical et infirmier est d’un autre siècle. D’autre part, dans ce milieu hospitalier clos, où la société ne pénètre pas, où le malade finit par être la seule finalité, les tensions interprofessionnelles restent cachées, traitées de façon clandestine. Ces spécificités du milieu hospitalier concourent à créer une grande souffrance.
Une association aux avant postes
D’où l’intérêt très grand de l’association Soins aux Professionnels de Santé (SPS) qui met l’accent sur cette réalité sociale, qui est assez grave en France. SPS aborde le problème du soignant à la fois en amont et en aval, en proposant des actions concrètes au niveau du repérage, de l’aide, de l’accueil. La mise en place d’une plateforme nationale d’appel (avec un numéro très simple 0 805 23 23 36) permet de répondre au besoin d’écoute et de soutien des professionnels. Le réel succès de cette structure témoigne de l’importance de la mise à disposition d’un espace où les soignants peuvent échanger et s’exprimer librement sur les problèmes qu’ils rencontrent.
De par leur métier si particulier, les soignants sont peut-être plus vulnérables que d’autres. Ils n’ont, de plus, pas les ressources, les aides comme en disposent d’autres professions à haut risque comme l’armée, la police, la gendarmerie. Pour cela, ils méritent une double attention. Il reste à trouver un écho auprès des pouvoirs publics. L’urgence est aussi de revoir l’organisation de notre système de santé en redonnant au soignant la place qu’il mérite.
(Le titre et les intertitres sont de la rédaction du JIM).
Pour plus d'informations consultez le Journal International de Médecine (JIM)

Aucun commentaire: