"La Vie Hospitalière"

mercredi 29 juin 2016

Le travail posté nuit gravement à la santé


Dans un avis présenté le 21 juin, l’Agence de sécurité sanitaire dresse un sombre tableau des effets du travail de nuit sur la santé. Elle recommande de le circonscrire au strict nécessaire, à l’heure où il ne cesse de se développer.
« Travailler de nuit tue ! » Verra-t-on un jour cet avertissement au bas des feuilles de paye des salariés postés, à l’instar des messages de prévention sur les paquets de cigarettes ? Sans doute pas. Pourtant, les constatations de l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans son avis sur les risques sanitaires liés au travail de nuit présenté le 21 juin, sont inquiétantes.
Quatre cents pages de rapport, près de vingt participants au groupe de travail constitué par l’agence, des centaines de publications épluchées et pesées durant plus de trois ans… L’Anses s’est appuyée sur du lourd pour rendre ses recommandations et répondre à la saisine effectuée par la CFTC en 2011. " On sait depuis longtemps que le travail de nuit a des impacts négatifs sur la santé " rappelle Claude Gronfier, chronobiologiste et président du groupe de travail. Dans ce rapport, un niveau de preuve a été attribué à chacun des effets sanitaires évalués ; pour certains, il est très élevé. Une démarche particulièrement précautionneuse, qui repose sur une vaste analyse critique des données publiées dans la littérature scientifique.
Source avérée de troubles du sommeil
Très attendue sur la cancérogénicité de ce type d’organisation horaire, l’Anses confirme les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui, en 2007, avaient fait grand bruit en la considérant comme « probable ». « Les éléments de preuve sont renforcés, avec des évidences plus nombreuses pour le cancer du sein, parce qu’il a été davantage étudié », précise Claude Gronfier. L’évaluation repose sur des données épidémiologiques récentes et plus abondantes que dans l’étude du Circ. Etudes expérimentales et biologiques à l’appui, les experts concluent globalement à un effet cancérogène probable. Même si, pour les cancers autres que celui du sein (prostate, ovaire, pancréas…), les apports de l’épidémiologie ne permettent pas de conclure.
Indiscutablement, s’agissant des troubles du sommeil, l’effet est « avéré ». « Compte tenu des découvertes récentes sur le rôle du sommeil dans la régulation métabolique – l'immunité et l’humeur notamment –, il faut attacher beaucoup d’importance à ce résultat », indique Claude Gronfier. Les horaires de nuit imposent une réorganisation des rythmes biologiques. Le nouveau cycle activité-repos/veille-sommeil est en décalage avec les rythmes circadiens calés sur un horaire de jour. La qualité et la quantité de sommeil en pâtissent. Et la réduction du temps de sommeil est directement associée à certaines pathologies. A court terme, les performances cognitives sont aussi altérées (effet probable).
Autre grand domaine exploré, celui des troubles du métabolisme. L’effet du travail de nuit est avéré sur la survenue du syndrome métabolique [1]. Sur l’obésité et le surpoids, il est probable. De même que sur le diabète de type 2, avec une relation dose-réponse : plus la durée du travail posté incluant la nuit est importante, plus le risque est élevé. L’effet sur les maladies coronariennes est également probable, dans la mesure où le travail de nuit est « associé à l’augmentation de prévalence de la plupart des facteurs de risque cardiovasculaire connus (lipides, poids, hypertension artérielle, tabagisme) », notent les rapporteurs.
La santé psychique n’est pas épargnée. Les nouvelles études analysées permettent de conclure à un effet probable : « Le travail de nuit semble augmenter les facteurs de risques psychosociaux et/ou les troubles du sommeil, qui à leur tour augmenteraient les risques de troubles mentaux. »
Baisse de la vigilance
Au-delà des aspects strictement sanitaires, l’expertise se penche sur l’accidentologie et en déduit que « la fréquence et la gravité des accidents survenant lors du travail incluant la nuit sont généralement augmentées ». En cause, somnolence et dette de sommeil qui entraînent une baisse de la vigilance. Mais les facteurs organisationnels, environnementaux et managériaux influent aussi sur les caractéristiques comportementales et physiologiques. Sont pointés la durée des postes, le nombre de nuits successives, les heures supplémentaires… D’où la nécessité, pour la prévention, de s’attacher à une analyse ergonomique des situations de travail.
Cette thématique du travail fait précisément l’objet d’un chapitre dans le rapport de l’Anses. Comment ses caractéristiques, notamment sa nature et sa pénibilité, se combinent-elles avec les effets du travail de nuit ? Les données analysées « incitent à ne pas faire abstraction des effets propres des exigences des tâches et de leurs conditions d’exécution », est-il écrit. Les répercussions du travail de nuit sur la vie familiale et sociale ont également un traitement spécifique. Les conséquences biologiques se cumulent avec celles résultant d’arbitrages complexes entre les sphères privée et professionnelle. Un temps limité de rencontre et de partage peut altérer les relations familiales et, par ricochet, affecter la santé psychique.
Pas simple, dans des situations où interagissent autant de facteurs de nature différente, de définir des pistes de prévention. Sur les aménagements horaires, plusieurs études préconisent de limiter à trois la succession des nuits, de privilégier les rotations rapides et dans le sens horaire (matin, après-midi, nuit), de ne pas commencer trop tôt le matin, d’éviter les postes longs, ou encore d’insérer des siestes courtes… Mais il n’y a pas de consensus scientifique sur ces pistes. Surtout, insiste le rapport, il n’y a pas de solution unique, l’organisation temporelle renferme des contradictions et est affaire de compromis. « Comment définir la durée des postes, construire un roulement ? s'interroge l'ergonome Béatrice Barthe. Il y a un décalage physiologique, mais aussi familial et social. Commencer son poste de jour à 4 heures du matin est délétère. Mais changer de système remet en cause les déjeuners familiaux et les soirées qu’autorisent les fins de poste à midi ou à 20 heures. »
Faciliter le retour à des horaires de jour
D’où une préconisation volontairement générale : « Tout ce qui réduit la désynchronisation et la dette de sommeil est a priori favorable. » L’Anses rappelle aussi la nécessité d’agir sur le contenu du travail et sa dimension collective, source de fiabilité et de préservation de la santé. Egalement recommandée, l’action sur les parcours professionnels de façon à faciliter le retour à des horaires de jour. Ce qui suppose d’adapter la surveillance médicale des personnes, y compris après la cessation de l’activité de nuit. Autre piste, évaluer la pertinence d’une inscription de certaines pathologies au tableau des maladies professionnelles. Autant de mesures qui, pour intéressantes qu’elles soient, n’enlèvent rien à la recommandation première de l’agence de limiter le recours au travail de nuit aux seules situations nécessitant d’assurer les services d’utilité sociale ou la continuité de l’activité économique. On en est bien loin aujourd’hui.
Isabelle Mahiou 

( Source Santé & Travail © ) 

Voir l'article complet dans le numéro de juillet de Santé & Travail (à paraître).

Pour en savoir plus

Evaluation des risques sanitaires pour les professionnels exposés à des horaires de travail atypiques, notamment de nuit, rapport d’expertise collective, Anses, 2016.
Evaluation des risques sanitaires liés au travail de nuit, avis de l’Anses, 2016.
Ces documents sont accessibles sur le site de l’Anses : www.anses.fr.

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